Une contribution substantielle de L’Homme sans qualités. Les réponses de Musil à la question de la vie juste (P. Fasula)

Atelier « Littérature et philosophie », 2022-2023,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

21 janvier 2023

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Pierre Fasula, chercheur associé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Une contribution substantielle de L’Homme sans qualités
Les réponses de Musil à la question de la vie juste

Il est notable que le projet de Jacques Bouveresse, dans La voix de l’âme et les chemins de l’esprit a consisté en « la découverte progressive de Musil non pas comme écrivain, un aspect sur lequel il est suffisamment connu, mais comme penseur, et même, plus précisément, comme philosophe » (p.11). À l’inverse, Vincent Descombes, dans son Proust. Philosophie du roman (1987) souligne le contraste entre, d’un côté, Proust, et de l’autre Thomas Mann et Robert Musil : « chez ces deux derniers auteurs, la spéculation conserve un tour dramatique […] les personnages auxquels l’auteur confie l’intérêt théorique ne sont pas des sujets pensants auxquels attribuer des pensées. Ce sont les suppôts de forces et de tensions. […] Du même coup, l’auteur est celui qui n’a rien à dire de plus. Dans l’ordre du dogme, l’auteur figure comme un sceptique passionné » (p.40). Découvrir le philosophe en Musil ou le voir comme un sceptique passionné – que peut-on attendre de philosophique d’un roman comme celui de Musil ? Notamment, que peut-on en attendre concernant la question que se pose Ulrich, celle de la vie juste, qu’il formule ainsi : « comment dois-je vivre ? »

Dans cette conférence, on commencera par décrire la voie empruntée entre ces deux jugements : être attentif moins aux idées philosophiques explicites du roman qu’à la situation narrative d’Ulrich, qui nous semble éclairer la question de la vie juste et le « sens du possible » qui caractérisent Ulrich. Dans un second temps, on se focalisera précisément sur les rapports entre littérature, vie juste et utopie, la question étant la suivante : dans quelle mesure le roman peut-il fournir une contribution substantielle en philosophie morale ?

Bibliographie

J. Bouveresse, Le Mythe de l’intériorité, Paris, Minuit, 1987.

J. Bouveresse, La Voix de l’âme et les chemins de l’esprit, Paris, Seuil, 2001.

J. Bouveresse, L’Homme probable, Paris, Éclat, 2005.

V. Descombes, Proust. Philosophie du roman, Paris, Minuit, 1987.

V. Descombes, Les Embarras de l’identité, Paris, Gallimard, 2013.

V. Descombes, « Grandeur de l’homme moyen », dans Critique, 1994, 50/567-568, p. 661-677.

F. Hayek, La Constitution de la liberté, Paris, Institut Coppet, 2019.

R. Musil, L’homme sans qualités, tr. fr. P. Jaccottet, Paris, Seuil, 1956.

O. Neurath, « Utopia as a social engineer’s construction », dans Empiricism and sociology, p. 150-155.

Texte de la conférence téléchargeable ici.

Cosmologie, désillusion et subjectivité. Pierre Corneille et les conditions de possibilité du théâtre (C. Kintzler)

Atelier « Littérature et philosophie » 2022-2023,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni 

Samedi 19 novembre 2022, 10h-12h30. (ENS, 45 rue d’Ulm salle Weil)
Catherine Kintzler, professeur honoraire, université de Lille :

Cosmologie, désillusion et subjectivité.
Pierre Corneille et les conditions de possibilité du théâtre

Principaux points abordés :

  • Par sa seule existence, le théâtre est cosmologique. Corneille affronte la question avec une théorie de la vraisemblance qui s’interroge sur les butées du monde représentable possible.
  • Le théâtre se présente comme « illusion », mais il montre en quoi l’illusion et l’erreur sont constitutives de la connaissance. Le dispositif théâtral révèle l’inquiétude fondamentale de l’acte de connaître.
  • La place et le statut du sujet sont engagés : comment se penser comme exception ?

Textes et documents :

Pierre Corneille,

  • Trois discours sur le poème dramatique, éd. Louvat-Escola, Paris, GF, 1999.
  • Théâtre, édition au choix. Outre les pièces tragiques les plus connues, les références seront faites principalement à L’Illusion, Médée, Rodogune.

Je m’inspirerai de travaux que j’ai menés antérieurement, notamment (on trouvera des indications bibliographiques développées dans les références citées ci-dessous) :

  • Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, Paris : Minerve, 2006 (1991), I, II, chap. 2.
  • Théâtre et opéra à l’âge classique, Paris : Fayard, 2004, chap. 1.
  • « L’Illusion de Pierre Corneille. L’optique philosophique et le temps de comprendre », Revue de Métaphysique et de morale, 2018/2, p. 183-198, accès libre sur Cairn https://doi.org/10.3917/rmm.182.0183 version initiale (2006) sur Mezetulle https://www.mezetulle.fr/lillusion-comique-de-corneille

Séance retransmise par visioconférence.

Télécharger les documents : https://ahp.li/774f1bf72ffbcbba7a4e.pdf

Télécharger le texte intégral de l’intervention (tous droits réservés) : https://ahp.li/08f55f9072f77c6c7dba.pdf

 

Du rôle esthétique de l’analogon dans l’art moderne selon Sartre (Sophie Astier-Vezon)

Atelier « L’art et les beaux-arts » 2020-2021,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni 

Samedi 22 mai 2021, 10h-12h30, visioconférence. Sophie Astier-Vezon, docteur en philosophie, professeur en classe préparatoire aux grandes écoles au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand :

Du rôle esthétique de l’analogon dans l’art moderne selon Sartre

Présentation

Il me semblait intéressant de décrire la relation ambivalente entre un homme quasi aveugle, qui voulait à la fois être Spinoza et Stendhal, qui écrivait compulsivement au moins six heures par jour, et le monde de l’art, en particulier celui de la peinture, qui est essentiellement un monde d’objets ou d’images. Si l’on définit l’œuvre d’art comme la création d’un objet qui dédouble le monde pour questionner son sens et la projection matérielle du regard individuel que l’on porte sur lui pour en dégager le sens ou la beauté, on peut alors se poser une double question. On peut se demander si Sartre appréciait le monde des œuvres d’art autant qu’il vénérait celui des mots. Il n’y a pas nécessairement contradiction entre les deux puisque le langage et l’art sont deux modes d’appréhension du réel et fonctionnent comme des signes à travers lesquels nous visons des objets absents ou inexistants. Mais dans ce cas, l’art nous permet-il de voir au-delà du monde, de nous en arracher, ou bien possède-t-il en lui-même son propre sens, toujours déjà engagé dans la matière du monde ? À quel type de langage et de représentation conduit l’art, aux yeux de Sartre ?

On peut également se demander comment Sartre se positionnait face à l’art de son époque, sachant que l’on peut définir : 1) l’art moderne, né dans la seconde moitié du XIXe siècle, comme un mouvement qui met en avant l’expression d’une subjectivité singulière, délaissant le beau académique, le diktat du modèle ou le respect des thèmes imposés, cherchant uniquement à exprimer la signification que le réel a prise pour l’artiste, lequel cherche par la même occasion à devenir indépendant de la société, au point d’être « maudit » par elle ; et 2) l’art contemporain, apparu dans la seconde moitié du XXe siècle, comme une démarche artistique qui consiste à questionner les règles et les limites de l’art, comme une réflexion philosophique sur l’art, pratiquée par l’art lui-même. Quelle relation Sartre entretient-il avec ces mouvements artistiques, lui qui, après la guerre, met en place un cercle d’artistes existentialistes (succédant à Breton et accueillant des surréalistes dissidents) et réserve une rubrique à l’art dans Les Temps modernes ?

Ces deux questions peuvent trouver une même réponse si l’on s’attache à observer l’évolution, dans les textes sartriens, de la théorie de l’analogon, ce support physique et psychologique qui sous-tend chaque image : tout d’abord, dans ce que nous appellerons la « première esthétique », ou « esthétique par la négative » (valable globalement jusqu’en 1946), l’analogon est décrit comme ce qui permet de créer un lien entre la chose perçue et l’objet visé à travers elle, avec pour effet de déplacer et désincarner l’œuvre artistique, de la couper du monde. Mais ensuite, les premières pages de « Qu’est-ce que la littérature ? » en 1947, pourraient jouer le rôle de pivot, annonçant une deuxième période au cours de laquelle Sartre va construire une seconde esthétique, ou « esthétique de la présence ». Le « sens » de la toile (pour ne prendre que l’exemple de la peinture), devient alors un quasi-sensible à la fois présent et absent, toujours déjà présent à l’intérieur de la toile, qui affleure à sa surface, au lieu d’être visé au-delà, et que seul le regard peut transformer en mouvement et en vecteurs. Le sens s’est comme incarné dans la toile, c’est une signification qui s’est faite chose.

Ainsi, dès lors qu’il va fréquenter les ateliers des artistes et notamment rencontrer des peintres capables d’explorer le sens matériel de la toile, Sartre va tenter d’appliquer à l’art des concepts qui lui tiennent à cœur comme : la matière, le temps, l’engagement. Chacun des artistes rencontrés par Sartre (Calder, Hare, Giacometti, Masson, Wols, Lapoujade, Rebeyrolle, Leibowitz…) est à sa manière un visionnaire capable de transformer la distance en sensation, la perspective en profondeur, par une compression du signifié dans le signifiant matériel de l’œuvre. Or, cette capacité artistique apparaît déjà chez Le Tintoret ; Sartre se demande à son propos en 1961 : « Quel sera-t-il, ce nouvel objet plastique qu’il faut voir et sentir à la fois ? », faisant du peintre vénitien de la Renaissance le véritable précurseur de cet art matiériste moderne. La modernité en art ne serait donc pas selon Sartre liée à une époque ou à une appartenance à un mouvement, mais plutôt à la capacité artistique de produire un signe qui fait sens par lui-même, sans viser une signification au-delà, telle une signification close sur elle-même. Cette nouvelle conception sartrienne sonnerait alors comme une revanche de la matérialité de l’image sur la négativité de l’imaginaire grâce au « sens » de l’œuvre.

Les essais d’esthétique écrits par Sartre entre 1946 et 1970, bien que souvent méconnus, permettraient alors de tracer au sein de la philosophie sartrienne une nouvelle approche, plus phénoménologique et plus matérialiste de l’art. Ses réflexions sur l’art sauveraient ainsi Sartre d’une théorie de l’imagination sans images réelles et d’une dévalorisation dégradante de l’image physique. La praxis artistique a ainsi peut-être rétrospectivement modifié l’ontologie sartrienne ; certaines œuvres « modernes », faisant don de l’épaisseur énigmatique du monde, permettraient alors à l’art de synthétiser ce que la philosophie sartrienne séparait, l’en-soi et le pour-soi, réparant ainsi la célèbre faille ontologique.

Trois documents d’accompagnement de la séance à télécharger :

Conditions d’accès

Les ateliers sont ouverts à tout adhérent de la Société française de philosophie, dans la limite des places disponibles. Les non-adhérents peuvent également y assister avec l’accord du responsable de l’atelier. Toutefois, les salles ayant des capacités limitées et l’accès aux locaux étant soumis à des consignes de sécurité ainsi qu’à des consignes sanitaires, il est impératif de prendre contact préalablement avec un responsable de l’atelier.

Prendre contact (avant le 17 mai) pour assister à la séance ou pour obtenir le lien de visioconférence :

La condition esthétique de la philosophie (G. Pigeard de Gurbert)

Atelier « L’art et les beaux-arts » 2020-2021,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance prévue le 14 novembre 2020, reportée au 20 mars 2021

10h-12h30 visioconférence

Guillaume Pigeard de Gurbert, Professeur de Première supérieure au lycée Gay-Lussac de Limoges : La condition esthétique de la philosophie.

Présentation
(Vous trouverez ci-dessous le lien de téléchargement de l’exposé intégral)

Je partirai de ce fait, difficile à ne pas prendre en compte tant il est indissociable de son histoire, que la philosophie semble ne pouvoir se penser elle-même que dans sa relation aux beaux-arts et à l’art en général. La généralité de ce fait engage à en interroger le sens. Que l’art agisse parfois sur la philosophie comme un repoussoir ne fait que le confirmer : « le différend, c’est Platon qui le dit, est ancien entre la philosophie et la poésie » (La République, X, 607b).

Ni simple domaine voisin du sien, ni authentique territoire sur lequel elle s’exercerait de plein droit, l’art figure pour la philosophie une altérité déterminante. Cette détermination de la philosophie par l’art et plus encore par ses œuvres, prend fondamentalement deux significations, celle d’une autodétermination et celle d’une altérité constituante.

Son altérité, l’art la tient de la nature sensible des œuvres sans laquelle celles-ci ne seraient pas précisément des œuvres d’art. Or, la prise en compte incontournable de la dimension esthétique de l’art confronte la philosophie au problème de sa propre sensibilité. Et ce problème, loin d’être régional, engage la philosophie corps et âme.

On peut distinguer deux modalités principales de la condition esthétique de la philosophie. La première consiste à prendre pour ainsi dire directement le sensible en main afin de neutraliser son altérité pour en faire le corps docile que pilote l’intelligible qui s’y incarne. Cette modalité de la condition esthétique de la philosophie relève du régime mathématique de la pensée, de l’action d’intelliger, qui dissout l’altérité dans une ontologie de l’identité. On peut interpréter le faux départ de la Phénoménologie de l’Esprit, qui risquait d’enliser dans l’œuf le cycle du concept en l’installant dans la certitude sensible, comme une manière de désaveu rétrospectif, par la philosophie hégélienne, de sa condition esthétique. Repentir que l’entreprise encyclopédique aura pour objet d’effacer en situant l’intelligible au principe du sensible, celui-ci n’étant désormais plus autre chose que le corps que se donne l’intelligible en sortant de soi. Ici l’esthétique n’est pas tant le territoire du sensible que celui de l’apparence, conçue comme terrain d’action de l’intelligible œuvrant à sa propre réalisation.

La seconde modalité, la modalité pathétique, mobilise l’altérité sensible pour assurer un rapport au sensible favorable à la pensée. La philosophie y assume cette fois la sensibilité de la pensée. Elle va même jusqu’à surprendre la pensée en plein éblouissement, semblant l’exposer au joug de l’altérité. Seulement cette sensibilité de la pensée au beau est devenue une sensibilité pensante, et si le beau ravit la pensée, c’est qu’il l’exauce ce faisant. Si la condition mathématico-esthétique de la philosophie désamorçait par avance l’altérité sensible, sa condition pathétique, véritable sensibilité à l’intelligible, la simule. Dans le régime pathétique de la philosophe, la pensée pâtit bel et bien, mais de l’intelligible. C’est, au plus haut point, ce Beau qui appartient à l’éthique et dont Platon dit dans le Phèdre (250d) qu’il est ce qu’il y a de « plus éclatant » (ekphanestaton).

Ces deux modalités, quelles que soient leurs différences profondes, ont une motivation commune : faire que la sensibilité de la pensée ne compromette pas la philosophie mais garantisse sa nécessité de penser. L’esthétique mathématique commence par anesthésier la pensée afin qu’elle ne rencontre, en lieu et place de l’altérité sensible, que l’identité logique extériorisée. L’esthétique pathétique, elle, sublime l’altérité sensible en altérité intelligible.

Le déni mathématique de l’altérité sensible qui l’égale dans le temps à l’identité intelligible, comme sa sublimation pathétique, ne trahissent-ils pas l’un et l’autre deux conduites philosophiques pour conjurer la condition esthétique de la philosophie ?

Il faudrait alors tenter de suivre au plus près le travail philosophique sur le sensible à l’œuvre dans les arts, en reconsidérant, selon ce problème, la classification des différents arts qu’expose Hegel dans ses cours d’esthétique. Il faudrait, plus précisément encore, interroger cette dernière à partir de la hiérarchie qu’il établit dans L’Encyclopédie (§§ 402-403) entre le mutisme de l’affect (Empfindung) et les balbutiements du sentiment de « l’âme ressentante » (fühlende Seele). Bien qu’il garantisse a priori le primat de l’identité logique sur l’altérité esthétique, Hegel ne peut éviter le problème de l’affect qui expose la pensée à un dehors. Peut-être le sens de sa philosophie est-il à chercher dans son travail pour suturer le hiatus qui sépare l’affect du sentiment, et infléchir celui-là dans le sens de celui-ci.

Les œuvres d’art ne confrontent-elles pas la philosophie à sa propre condition esthétique qui lui fait sentir, au contact des œuvres d’art, le risque qu’elle ne pense pas et ne puisse pas penser ? Cette condition esthétique de la philosophie, qu’elle tente sans fin de se réapproprier, je propose de l’appeler « pathématique », le sens de ce terme dont l’usage s’est perdu étant largement attesté en philosophie, depuis Platon et Aristote, jusqu’au texte latin des Principes de la philosophie de Descartes. Extériorisation mathématique du même et éblouissement pathétique de l’autre ne doivent-ils pas se comprendre, en dernière analyse, à partir du risque congénital pour la philosophie d’un aveuglement pathématique ? L’art n’expose-t-il pas effectivement la philosophie à cette sensibilité de la pensée à l’autrement que pensable, sensibilité sans laquelle certes la pensée serait assurée a priori de son existence, mais qu’aurait-elle alors à penser d’autre qu’elle-même ?

Télécharger le texte intégral de l’exposé (tous droits réservés).

 

Peut-on penser l’art sans le beau ? (J.-M. Frey)

Atelier « L’art et les beaux-arts » 2020-2021,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 16 janvier 2021, 10h-12h30, en visioconférence.

Jean-Marie Frey, Professeur en Lettres supérieures au lycée Henri Bergson  d’Angers : Peut-on penser l’art sans le beau ?

Présentation

En 2019, le Conseil International des Musées propose une nouvelle définition du musée qui écarte résolument toute évocation de la beauté dans le domaine artistique. « Les musées, écrit-il, sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples. Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice. » En lisant cette définition, on se surprend à penser qu’il est temps de sortir de la torpeur métaphysique qu’engendre une trop longue fréquentation des vieilles philosophies et des œuvres du passé. On se dit qu’il faut renoncer à l’appel périmé de l’universel, qu’il convient au contraire de se tourner résolument vers une démocratisation « inclusive » et « polyphonique » permettant le dialogue entre des communautés diverses dans le respect de la diversité des passés, des futurs et des mémoires, et que les anciens espaces silencieux consacrés à la contemplation de belles œuvres doivent être remplacés par des lieux participatifs puisqu’il n’y a plus des œuvres dart mais seulement des « artefacts » et des « spécimens ». Une question, ici : peut-on penser l’art sans le beau ?

Nous envisagerons ce que pourrait signifier un art « débarrassé » du beau. On croit volontiers que la beauté artistique s’est retirée. On prétend alors que son décès est une chose entendue. Mais n’y a-t-il pas là une illusion ? Comment, sans référence aucune à la contemplation du beau, pourrions-nous, par exemple, envisager la distinction élémentaire de la production artistique et de la production technique ? Nous verrons que, dans le domaine artistique, la beauté ne se laisse pas faire. On la croit morte ou à tout le moins reléguée dans des expositions datées, exilée aux confins de temps lointains irrémédiablement passés. Or il se pourrait que l’art ne puisse pas se passer d’elle. Si l’art ne vise certes pas la représentation de belles choses, n’est-il pas essentiellement attaché, selon la formule de Kant, à la belle représentation d’une chose ? On a d’abord prétendu que les artistes révèlent la beauté aux hommes comme des prophètes dévoilant le Verbe divin. On a ensuite affirmé qu’ils en sont les créateurs. Dorénavant, on soutient couramment qu’ils la refusent, qu’ils la déconstruisent. Pourtant, nous verrons qu’elle est peut-être toujours là. Certes, elle n’est plus apparente. Elle se tient en retrait. Toutefois, elle ne meurt pas tout à fait. Elle ne se résout pas à quitter le monde des représentations. Elle le hante. Nous examinerons donc cette thèse : l’art est nécessairement habité par le beau !

Lire et télécharger ici le texte de l’intervention (tous droits réservés)

 

L’art et les beaux-arts 2020-2021 programme

Année 2020-2021

Atelier « L’art et les beaux-arts » (responsables : Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni). Programme

Programme prévisionnel. 3 séances le samedi de 10h à 12h30 à l’ENS, 45 rue d’Ulm, Paris.

  • Samedi 16 janvier 2021, salle Simone Weil, Jean-Marie Frey, Professeur en Lettres supérieures au lycée Henri Bergson  d’Angers : Peut-on penser l’art sans le beau ?
  • Samedi 20 mars 2021, salle à préciser, Guillaume Pigeard de Gurbert, Professeur de Première supérieure au lycée Gay-Lussac de Limoges : La condition esthétique de la philosophie.
  • Samedi 22 mai 2021, salle Beckett,  Sophie Astier-Vezon, Docteure en philosophie, Professeure en classe préparatoire aux grandes écoles au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand : Du rôle esthétique de l’analogon dans l’art moderne selon Sartre.

Les ateliers sont ouverts à tout adhérent de la Société française de philosophie, dans la limite des places disponibles. Les non-adhérents peuvent également y participer avec l’accord du responsable de l’atelier. Toutefois, les salles ayant des capacités limitées et l’accès aux locaux étant soumis à des consignes de sécurité, il est impératif de prendre contact avec un des responsables de l’atelier.

Renseignements pratiques, arguments et documents : à consulter dans l’agenda pour chaque séance.

Retrouver le chemin de l’émancipation humaine. Une piste à étudier : la République sociale (Bernard Teper)

Atelier « L’idée de république » (3e année) animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 25 mai 2019

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm 75005 Paris, salle Weil, 10h-12h30

Comment retrouver le chemin de l’émancipation humaine ? Une piste à étudier : la République sociale

par Bernard Teper, co-animateur du Réseau Education populaire (REP), co-auteur avec Pierre Nicolas de Penser la république sociale pour le XXIe siècle, éd. Eric Jamet, 2 vol., 2014 et 2015

Dans un monde de régression démocratique, laïque, sociale et écologique, la question présentée ci-dessus devient pressante. Tant du point de vue théorique que du point de vue pratique. Le recul de tous les principes républicains dans ces dernières décennies nous oblige à constater le recul de la République, voire son effacement progressif.

Face à cela, des intellectuels, des citoyens éclairés, des militants, tentent de défendre cette République menacée. Sans grande efficacité ! Et s’il fallait changer le logiciel ? Et s’il fallait mieux appréhender la séquence actuelle ? Et si Albert Einstein avait une fois de plus raison lui qui disait : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré ».

Nous partirons d’un texte qui a marqué tout un réseau de citoyens éclairés et de militants : http://www.mezetulle.net/article-qu-est-ce-que-la-republique-laique-i-par-j-m-kintzler-43435412.html . Ce texte de Jean-Marie Kintzler explicite philosophiquement le passage de l’Etat totalitaire à l’Etat de droit notamment lors de la Révolution française. Il est pour nous un point de départ de notre réflexion.

Cependant, l’évolution du capitalisme et surtout de sa dernière phase néolibérale, ainsi que celle de l’Union européenne et de la zone euro ont modifié l’ensemble des alliances et des antagonismes sociaux et politiques. Mais aussi ont engagé des reculs de l’Etat de droit et des principes républicains dans notre pays surtout pour ceux qui n’en restent pas aux principes formels pour s’intéresser aux principes dans leur réalité matérielle. Il n’est plus possible alors pour des promoteurs d’une philosophie matérialiste de dissocier la promotion de ces principes de l’environnement économique, social et politique dans lequel s’élaborent et vivent ces principes.

Notre propos s’engagera donc dans une analyse de la double filiation philosophique et historique du modèle politique de la République sociale, seul modèle politique crédible « en magasin » compatible, selon nous, avec les principes républicains. Sera présenté le modèle politique évolutif de la République sociale avec notre proposition «XXIe siècle » de ses principes constitutifs, de ses ruptures nécessaires, de ses exigences indispensables et de sa stratégie de réalisation.

S’inscrire (avant le 23 mai) pour assister à la séance :

Conditions d'accès

Les ateliers sont ouverts à tout adhérent de la Société française de philosophie, dans la limite des places disponibles. Les non-adhérents peuvent également y assister avec l’accord du responsable de l’atelier. Toutefois, les salles ayant des capacités limitées et l'accès aux locaux étant soumis à des consignes de sécurité, il est impératif de prendre contact préalablement avec un responsable de l’atelier.

Sienne 1288-1355. L’idée de république réinventée, l’expérience du Conseil des Neuf (Cécile Loisel)

Atelier « L’idée de république » (3e année) animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 11 mai 2019

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm 75005 Paris, salle Weil, 10h-12h30

Sienne 1288-1355. L’idée de république réinventée, l’expérience du Conseil des Neuf

par Cécile Loisel, professeur au lycée Galilée de Franqueville-Saint-Pierre,
secrétaire générale adjointe de la Société française de philosophie.

Dès le milieu du XIIe siècle, les cités du Nord de l’Italie, s’inspirant du modèle antique, s’émancipent du Saint-Empire romain germanique et inventent de nouveaux modèles de république. Les références conceptuelles de ce genre inédit de « regimen » sont pour partie empruntées au droit romain dont la connaissance était alors renouvelée par la découverte fortuite d’un exemplaire complet du Digeste Justinien. La philosophie de Cicéron et, à travers ses écrits, les théories politiques de Platon et d’Aristote fournissent également à ces nouveaux citoyens les moyens conceptuels de mettre en place les conditions concrètes de l’exercice d’un pouvoir républicain. L’exemple de Sienne nous montre comment les marchands, la « mezza gente », dirigent la cité au nom du bien commun sans lequel il n’y a ni justice ni liberté. Pendant près de soixante-dix ans, le Conseil des Neuf, désigné pour un mandat de deux mois, va mener l’expérience républicaine la plus longue du Moyen Âge. Sa longévité n’est pourtant pas synonyme de stabilité : la guerre, sous la forme hideuse du « guasto » est à l’extérieur l’horizon permanent de la cité tandis qu’en son sein menace constamment la « stasis » – produite ou bien par la « faide« , la haine qui déchire entre elles les grandes familles ou bien par les séditions qui soulèvent régulièrement le peuple qui réclame justice. Par quelle solution politique une concorde pourrait-elle émerger de ces forces contradictoires?

C’est en 1340, alors que le modèle républicain siennois connait un déclin irrémédiable, qu’Ambrogio Lorenzetti achève pour la Salle du Conseil des Neuf du Palazzo Pubblico une série de peintures murales qui dévoile une vision réaliste des choses du pouvoir tout en exaltant l’idéal républicain comme seul gouvernement désirable des hommes, vertueux ou non. En effet, si l’on faisait le dessin de l’honnêteté, « si les yeux pouvaient la voir », écrit Cicéron en citant Platon, « elle nous inspirerait un merveilleux amour de la sagesse » (Cicéron, Traité des devoirs, I, v). Mais le discours pictural de Lorenzetti doit être lu pour lui-même, c’est-à-dire comme l’illustration d’une certaine idée de la république, en un lieu et en un temps déterminés et non comme l’illusion rétrospective d’une anticipation des républiques modernes. C’est cette incarnation particulière de l’idée de république que notre propos s’efforcera de restituer afin d’apercevoir les problèmes philosophiques qui diffèrent des nôtres et ceux qui sont les mêmes. Ainsi, du fond de ce vaste laboratoire politique que fut le Moyen Âge italien, nous parviennent peut-être des solutions, à coup sûr une poignante mise en garde sur la fragilité de toute république.

S’inscrire (avant le 9 mai) pour assister à la séance :

Conditions d'accès

Les ateliers sont ouverts à tout adhérent de la Société française de philosophie, dans la limite des places disponibles. Les non-adhérents peuvent également y assister avec l’accord du responsable de l’atelier. Toutefois, les salles ayant des capacités limitées et l'accès aux locaux étant soumis à des consignes de sécurité, il est impératif de prendre contact préalablement avec un responsable de l’atelier.

La laïcité de la République. Un point de vue juridique (par G. Calvès)

Atelier « L’idée de république » (3e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 16 mars 2019

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm 75005 Paris, salle Weil, 10h-12h30

La laïcité de la République. Un point de vue juridique

Gwénaële Calvès, professeur de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise.

La France est une République laïque », énonce la Constitution de 1958. Lapidaire, l’affirmation est spécifiée, en droit positif, par un ensemble de principes ou de règles que nous commencerons par présenter. Chemin faisant, nous essaierons de montrer que les « composantes du principe de laïcité », comme disent les juristes, forment un système très cohérent, au service des idéaux constitutifs de la République : souveraineté, liberté, égalité.

Mais le système s’avère structurellement instable, car il est porteur d’exigences qui, dans certaines situations, peuvent s’avérer contradictoires. Il est alors traversé par des conflits de droits qui se résolvent, soit par des réaménagements au sein même du principe (une composante se voit accorder la priorité sur les autres, non pas in casu mais de manière pérenne), soit par le recours à des techniques plus ponctuelles, dites « de conciliation » (exemption, dérogation, accommodement raisonnable, suspension pure et simple de la règle applicable…). Nous proposerons une typologie sommaire de ces différents cas de figure, pour les soumettre à la discussion collective.

 

 La République et l’universel : vers un universel avec adjectif ? (par N. Fartas)

Atelier « L’idée de république » (3e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 19 janvier 2019

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm,
salle Weil, 10h-12h30

La République et l’universel : vers un universel avec adjectif ?

Nadia Fartas, professeur de Lettres, docteur en littérature, membre du comité de rédaction d’Images Re-vues, enseigne l’esthétique et la théorie des arts.

La Constitution de la République française repose sur l’idée d’universel puisque est stipulé que chaque être humain est considéré en tant que citoyen jouissant des mêmes droits que son semblable en raison de son indépendance vis-à-vis des appartenances à un ou plusieurs groupes, sans pour autant que soient niés les particularismes, la République étant démocratique. C’est pourquoi quand elle a lieu la remise en cause de l’universel se fait, le plus souvent, au nom d’une remise en cause de cette forme d’organisation politique, et partant, de l’État de droit. Est entre autres reproché à l’universalisme républicain, qui découle du projet des Lumières et de la Révolution, de faire fi de l’accès tardif des femmes aux droits civiques ainsi que des violences liées à l’uniformisation linguistique. Le projet républicain est en outre réduit à l’expansion coloniale et aux horreurs du colonialisme. Ne sont ainsi retenues que les trahisons et transgressions des principes républicains, lesquels sont adossés à la justice sociale. Une autre critique adressée à l’universalisme républicain consiste à confondre universalisme et uniformité, de sorte que les singularités et les différences seraient étouffées. D’autres soutiennent en revanche que tendre vers l’universel est la seule manière de remédier aux inégalités, aux discriminations et aux injonctions abusives. En ce sens, viser l’universel relève de l’exigence. L’universel fait donc beaucoup parler. Entre la suspicion et l’exigence, certains philosophes, sociologues ou essayistes s’attachent ainsi aujourd’hui à cerner les contours hautement politiques de la notion d’universel. L’une des marques de cette entreprise réside dans le mouvement de caractérisation dont l’universel fait l’objet. Concret, abstrait… mais aussi « humain », « rebelle », « contrarié », « intensif » : quelles réponses ces formes de qualification offrent-elles ? On verra comment celles-ci cherchent à refonder l’universel en renouvelant notamment les relations que cette notion entretient avec le singulier.