Le principe d’action et de réaction dans le monde… (Mathieu Gibier)

Atelier Le Monde 2012-2013

Séance du 26 janvier 2013
10h30, salle du Caphés, 29 rue d’Ulm 75005 Paris

Le principe d’action et de réaction dans le monde physique et dans le monde humain
Mathieu Gibier (lycée Henri Martin, Saint-Quentin)

La solidarité est-elle un fait ou une « valeur », un être ou un devoir-être  ? Quand on dit que les pièces d’une machine sont solidaires parce l’une ne peut se mouvoir sans entraîner l’autre, on constate simplement une interdépendance. Et un solide n’est rien d’autre qu’un corps dont le mouvement d’une partie détermine celui des autres. En revanche, lorsqu’on exhorte les hommes ou les Etats à se montrer plus solidaires, il ne s’agit plus de constater un fait, mais de soutenir un idéal qui n’a pas encore été réalisé. Dans les deux cas, on retrouve l’idée de l’interdépendance des parties au sein d’un tout, et pourtant les deux significations sont radicalement différentes.
Ainsi encore, on entend parler sans cesse de la solidarité entre les économies de toutes les nations, l’appauvrissement ou l’enrichissement des unes ayant des conséquences sur toutes les autres. Mais, quant à savoir si les Etats vont se montrer plus solidaires entre eux, si les plus fortunés sont prêts à aider les plus pauvres, par exemple, c’est une toute autre question. Il y a cependant un lien entre ces deux sens de la solidarité  : on peut espérer que l’accroissement factuel de l’interdépendance va, pour ainsi dire, contraindre les Etats à penser davantage à l’intérêt commun, tout simplement parce leur intérêt particulier ne peut plus en être détaché.
C’est ce lien que je voudrais examiner en prenant pour fil conducteur l’usage du principe d’action et de réaction dans la pensée kantienne. Ce principe lui permet de penser aussi bien les faits d’interaction entre les corps qui composent le monde physique que les rapports de force entre les Etats (dans sa philosophie de l’histoire), mais aussi, par analogie, un système du droit (général ou international) dans lequel chaque membre est en interaction avec tous les autres selon des lois universelles et agit librement par ce rapport même (dans sa métaphysique des mœurs). Ce qui, rapporté au monde physique, est un principe constitutif de l’expérience, prend le sens nouveau d’un type régulateur qui nous aide à penser le monde humain comme système de la liberté, et non plus seulement système naturel.
Confondre ces deux usages, c’est risquer de réduire l’homme à une chose de la nature, en ramenant sa vocation à agir selon des principes universels à une réaction mécanique à son environnement. N’est-ce pas un signe de cette confusion que, dans les nouvelles épreuves de «  langue vivante  » du baccalauréat, on parle «  d’interaction  » (plutôt que de dialogue) entre le candidat et l’examinateur  ? Ou bien que l’on ne demande plus guère à ceux qu’on interroge dans les média de répondre au sens d’une question, ou d’exprimer une pensée, mais de «  réagir  » à ce qui les «  affecte  »  ? L’usage du principe d’action et de réaction mutuelle a sa pertinence pour penser les rapports entre les hommes, mais à condition d’en faire un usage analogique qui n’empêche pas de concevoir en quoi la volonté se distingue d’un phénomène naturel.
1. Dans un premier temps, il faut comprendre que l’interdépendance de toutes les choses du monde n’est pas seulement un fait, mais un principe présupposé par tout fait de coexistence. Exister, c’est toujours à la fois agir et pâtir  ; c’est être au monde, sortir de soi.
2. Loin d’aboutir seulement à la vague idée que «  tout conspire  », nous verrons comment ce principe conduit Kant à fonder à sa manière la loi newtonienne d’égalité de l’action et de la réaction, comme principe métaphysique de la science de la nature. C’est un chapitre méconnu de l’histoire des lois du choc des corps.
3. Une fois établi ce principe qui permet de penser la nature comme système, il s’agit de comprendre en quoi on peut y recourir par analogie pour concevoir les rapports entre deux personnes à l’intérieur d’un système de la liberté, comme le fait Kant dans sa fondation du droit (il explique lui-même sa méthode dans la «  typique  » de la raison pure pratique).
La liberté, ce n’est pas la chimère d’une action sans réaction, d’un pouvoir sans contre-pouvoir, mais c’est une action dans laquelle je peux me penser à la fois législateur et sujet (j’intègre en quelque sorte l’idée de la réaction de tous les autres dans mon action même, de sorte que je ne subis plus cette réaction de l’extérieur, comme une violence).
4. Enfin, on sera peut-être en mesure de comprendre comment les deux usages du principe s’articulent dans l’idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, et de répondre ainsi à la question initiale.

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