Atelier Littérature et philosophie, 3e séance (Daniel Dauvois)

Atelier « Littérature et philosophie », 2022-2023,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

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Daniel Dauvois

La possibilité de la critique d’art : La Font & Dubos

Samedi 13 mai 2023, 10 h – 12 h, ENS 45 rue d’Ulm 75005 Paris.

Points abordés :

• La critique d’art apparaît au travers du scandale relatif de l’ignorance au principe du jugement. La Font intervient sur l’espace du jugement de goût, sans pouvoir s’armer d’une qualification quelconque. Il est non professionnel, inexpert, sans aucune liaison ou attache avec la peinture, et cette carence variée est ce qui l’autorise à en juger.

• La critique de La Font de Saint-Yenne s’autorise d’une théorie de l’art et de la nature du public à qui l’art s’adresse, qu’on ira trouver chez l’abbé Dubos, pour qui, en effet, c’est le public qui doit juger des œuvres, parce qu’il les reçoit sans prévention, et dans le sentiment plutôt que par la raison, ou selon la voie de la discussion. Le rapport à l’art n’est pas d’instruction mais de plaisir.

• Le jugement de goût qu’analyse Dubos, n’est ainsi ni ordonné au vrai, ni au bien ni non plus d’ailleurs au beau. Une œuvre se juge comme on juge un ragoût, à même le plaisir qu’on en éprouve ; dans le cas de la peinture ou de la poésie dramatique, ce ne sont pas des sapidités qui le déclenchent, mais des sentiments naturels, dont l’imitation excite des émotions semblables dans le public.

• La Font et Dubos se rencontrent dans leurs goûts picturaux ; ils apprécient la peinture de Le Brun et de Poussin ; ils n’aiment guère la peinture rococo, d’un Boucher ou d’un Natoire, qui est en vogue de leur temps. Est-ce divorce originaire entre la critique et le public, ou bien l’expression d’une normativité à laquelle la critique s’adosse par fonction ?

• La connexion historique entre Dubos et La Font n’est pas de nature logique ni principielle : on n’a pas un dispositif philosophique, spécialisé dans les principes et la généralité, dont la naissance de la critique picturale serait comme une certaine application, dans la région des belles-lettres ou de la littérature. La Font assume certes la manière dont Dubos a renouvelé la façon de se rapporter à l’art et de lui assigner une fonction vitale ; la critique fonde sa possibilité sur l’esthétique du sentiment de Dubos (appellation incertaine), mais elle ne se sent pas d’en tirer toutes les conséquences, car elle se trouve aux prises avec ses difficultés propres, qui sont de savoir comment dire la peinture, comment poser du discours à côté des tableaux et qui fassent, pour ainsi dire, entrer dedans, de sorte que leur jugement soit incontestable quoique sans discussion.

Textes impliqués

La Font de Saint-Yenne, Œuvre critique, édition É. Jollet, ÉNSB-A, Paris, 2001. Très bonne édition.

Jean-Baptiste Dubos Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, édition D. Désirat, ÉNSB-A, Paris, 1993. Il y a actuellement deux éditions meilleures et non épuisées des Réflexions, une italienne (Riflessioni…, Aesthetica, 2005) et une anglaise (Critical Reflections…, Brepols, 2022). Je prépare, avec Thierry Côté, pour 2024 une nouvelle édition de Dubos, chez Champion.

Albert Dresdner, La genèse de la critique d’art, ÉNSB-A, 2005.

Daniel Dauvois, Écrire la peinture, Pont 9, Paris, 2022.