Réflexions à propos et à partir de l’idée du droit public selon Kant (P. Windecker)

Atelier « L’idée de république »,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

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« Réflexions à propos et à partir de l’idée du droit public selon Kant »

par Pierre Windecker

Séance du 3 juin 2017

Des institutions politiques d’extension plus ou moins grande et qui, en compréhension, possèdent des compétences diverses et souvent hiérarchisées semblent opérer une sorte de partage de la « chose publique ». L’idée de République est immédiatement appelée par les institutions de la « souveraineté nationale » qui se placent sous son enseigne. Mais elle l’est aussi, de manière indirecte, par certaines institutions « supranationales » telles que les institutions européennes. Sans doute même l’est-elle – fût-ce, à la limite, sous la forme paradoxale d’une carence – par celles de la « communauté internationale ». C’est à partir d’un questionnement portant sur l’idée kantienne de droit public qu’on essaiera d’éclairer problématiquement cette situation.

On se demandera d’abord pourquoi le droit public doit se décliner aussitôt selon ses trois volets : droit politique, droit des gens, droit politique des gens. Une telle division ne saurait concerner la respublica noumenon : celle-ci, étant l’objet immédiat de l’idée pratique, posé par son pouvoir constituant immanent, ne peut qu’ignorer la pluralité et la relation extérieure. Le triptyque du droit public suppose donc que la respublica noumenon soit immédiatement pensée dans son rapport avec la possibilité d’une respublica phaenomenon. La supposition que celle-ci est divisible selon l’extension, et donc sujette à la pluralité et à la relation, est nécessaire pour prévenir un usage amphibologique des concepts de la réflexion dans le champ politique dont on interrogera les conséquences dangereuses.

Mais on examinera surtout ce triptyque du droit public dans la perspective d’une dialectique naturelle de la raison, dont les illusions ne peuvent précisément être combattues que si l’on maintient toujours l’écart entre res publica noumenon et res publica phaenomenon. De ce point de vue, la confusion entre république et démocratie apparaît comme l’effet d’un paralogisme dont seule l’idée de la forme « représentative » de tout gouvernement légitime peut nous préserver. Le droit des gens apparaît comme le lieu d’une antinomie. Le droit cosmopolitique, enfin, prend la place de l’idéal.

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L’actualité de l’idée de république (C. Schmelck)

Atelier « L’idée de république »,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

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« L’actualité de l’idée de république »

Séance du 18 mars 2017

Clara Schmelck, journaliste à Intégrales et Socialter, philosophe des médias.

Aujourd’hui, lorsque les médias français s’interrogent sur l’actualité de l’idée de République, ils scrutent les failles, les manquements ou les difficultés d’accomplissement de ce qu’ils entrevoient sans précision soit comme un type de gouvernement soit comme un idéal, cela non sans prendre le risque de laisser s’évaporer l’idée de République dans une atmosphère chargée de polémiques de circonstances. C’est ainsi que dans les actualités diffusées dans les journaux, à la télévision ou sur internet, la République apparaît de plus en plus souvent comme une abstraite incantation magique venant donner une tonalité édifiante à un article relatant un fait politique marquant. On invoque « les valeurs de la République » comme si cette expression figurait une transcendance absolue imposant ou bien obéissance immédiate, ou bien procès imminent.

Cette « idée » actuelle de la République relève en fait de représentations influencées par notre époque. La République, selon l’opinion que l’on s’en fait, serait ou bien un outil indispensable pour façonner la démocratie aujourd’hui, ou bien, a contrario, une notion caduque incapable de donner corps, trois cents ans après la Révolution qui l’a installée, à une société démocratique en France. L’enjeu est de sonder si ce fameux « idéal républicain » est porteur oui ou non du « vivre ensemble » démocratique, à savoir de la concorde civile fondée sur l’égalité en droits de tous les citoyens.

Notre démarche cherchera à quitter la sphère de l’opinion et des représentations pour revenir sur les principes philosophiques dans lesquels s’enracine la République, et parvenir ainsi à démontrer qu’en son idée, la République n’est pas un édifice conceptuel figé dans le passé, ni encore un outil à manipuler pour déverrouiller les engrenages de la société de notre temps, mais un processus qui joint et la pensée et l’action civiques. Et c’est paradoxalement en cela que la République est actualisable.

À cette fin, nous soutiendrons cette idée de la République : « le vivre ensemble » que porte la République est un mouvement de constitution d’un rapport commun des libertés, où chaque liberté individuelle, sans cesser d’être individuelle, en sa vocation de dépassement, donne aux autres et reçoit toutes les autres libertés. Précisément, ce qui fait l’actualité permanente de la République, c’est-à-dire ce en quoi elle existe en acte, c’est la possibilité d’une subjectivation de l’unité politique à l’échelle individuelle qui soit compatible avec l’affirmation de la liberté du sujet en tant que personne juridique qui a la responsabilité des actes politiques.

Autrement dit, la République s’actualise à travers le processus continu de citoyenneté des personnes qui y participent. Le citoyen de la République n’a sa véritable actualité qu’en contribuant à se faire lui-même avec ses concitoyens, par un devenir volontaire tout au long de sa vie, d’abord en tant qu’élève de l’école de la République, puis en tant que lecteur/auteur de la presse libre. Dans cette perspective, l’instruction publique et la presse libre ne sont pas des « leviers » de la République, comme on le lit souvent, mais des moments du processus républicain.

À travers l’analyse de la citoyenneté, processus singulier de civilisation, nous décrirons l’idée de République telle l’idée vivante qui fonde la possibilité d’une démocratie.

Ernst Cassirer et l’idée d’une république allemande (R. Bertrand)

Atelier « L’idée de république »,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

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« Ernst Cassirer et l’idée d’une république allemande »

Séance du 21 janvier 2017, 10h-12h30,
Attention, changement de salle : la séance a lieu à l’ENS 45 rue d’Ulm, amphi Rataud
S’inscrire avant le 17 janvier pour assister à la séance : formulaire sur cette page.

Romain Bertrand, professeur au lycée Henri Parriat de Montceau-les-Mines, doctorant à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.

Interroger l’Idée de République est une invitation à questionner l’une des notions matricielles de notre présent politique, moins dans sa forme canonique nationale de République française que dans la pluralité de ces instanciations. En suivant la définition de l’idée que donne Alain Badiou, dans son texte consacré à l’Idée du communisme, on peut affirmer que le propre de l’idée est de nous amener à faire fonctionner ce dont elle est la notion dans un environnement étranger et analyser son intégration à un ensemble de problèmes différents de ceux qui l’entourent habituellement. Interroger « l’idée de République » prend alors un sens particulier dans la mesure où l’instanciation historique française semblerait tendre à épuiser ce que l’on pourrait en dire, semblant qu’il faudrait précisément dépasser.

Se fait alors jour la nécessité d’un décentrement, et fondamentalement d’un décentrement national. C’est pour mener à bien ce décentrement que nous proposons d’analyser l’idée de République à partir de sa formulation allemande que fut la République de Weimar, scène d’un affrontement autant politique que philosophique. Le problème fondamental qui se pose autour de cette émergence d’une République allemande est celui d’un questionnement sur la compatibilité de la forme républicaine avec la culture allemande et sur la pérennité d’un régime politique vécu comme une acculturation imposée par les vainqueurs de 1918. Ernst Cassirer a été le témoin sublime de ces événements politiques, en prenant part aux débats de l’époque du côté de ce que Habermas a nommé le « patriotisme de la constitution ».

Cassirer s’intéresse à ce problème dès 1916, et donc avant la proclamation de la République, dans le contexte tourmenté de la première guerre mondiale, à travers son étude Liberté et Forme, en se différenciant des engagements nationalistes de nombreux intellectuels (et notamment Hermann Cohen, Paul Natorp ou encore Thomas Mann) par un questionnement sur l’histoire de la culture allemande visant à développer un modèle cosmopolitique comme une riposte à la xénophobie ambiante.

Mais après la proclamation de la République, l’engagement de Cassirer pour le régime républicain, contesté par la révolution conservatrice, s’affermit jusqu’à son discours du 11 août 1928 intitulé « l’Idée de la constitution républicaine », où il interroge précisément les racines intellectuelles de cette forme politique en mettant en évidence son lien avec la philosophie de Leibniz et Kant, et leur reconnaissance de la liberté individuelle, rendant ainsi possible et légitime la rencontre de la République et de l’Allemagne.

Ce que Cassirer donne à penser, c’est l’articulation de l’action et de la pensée, en faisant de l’idée de République le corrélat politique de l’idéalisme allemand. Au-delà de toutes les traditions nationales, c’est à la considération idéelle du politique que nous sommes alors invités.

Bibliographie

  • Ernst Cassirer, Liberté et forme. L’idée de la culture allemande, trad. J. Carro, M. Willmann-Carro et J. Gaubert, Paris, Editions du Cerf, 2001.
  • Ernst Cassirer, L’idée de la constitution républicaine. Discours prononcé lors de la fête de la constitution le 11 août 1928, trad. O. Feron, Philosophie 2007/4 (n° 95), pp. 7-20.
  • Ernst Cassirer, Le mythe de l’Etat, trad. B. Vergely, Paris, Gallimard, 1993.
  • Ernst Cassirer, La philosophie des Lumières, trad. P. Quillet, Paris, Fayard, 1966.
  • Joël Gaubert, La science politique d’Ernst Cassirer, Paris, Editions Kimé, 1996.
  • Peter Gay, Le suicide d’une république. Weimar 1918-1933, trad. Jean-François Sené, 1995.
  • David R. Lipton, Ernst Cassirer : The dilemma of a liberal intellectual in Germany, 1914-1933, Toronto, University of Toronto Press, 1978.
  • Arno Münster, L’école de Marbourg. Le néo-kantisme de Hermann Cohen vers le socialisme éthique, Paris, Editions Kimé, 2004.

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L’idée de république permanente chez Condorcet (C. Coutel)

Atelier « L’idée de république »,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

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« L’idée de république permanente chez Condorcet »

Séance du 19 novembre 2016, salle du Caphés 29 rue d’Ulm, 10h-12h30
S’inscrire pour assister à la séance : formulaire sur cette page.

Charles Coutel, professeur des universités émérite en Philosophie du Droit à l’université d’Artois, Directeur de l’Institut d’étude des faits religieux.

Dans un premier temps, d’ordre génétique, nous souhaitons situer la philosophie républicaine de Condorcet dans l’histoire de l’émancipation humaine ; cette « histoire de la liberté » (formule de Condorcet), vient ponctuer un long processus par lequel l’humanité prend conscience des effets négatifs des fanatismes et des superstitions. Dans cette première phase, la raison était sous le joug des cléricalismes (« esprit de secte » dit Condorcet). Le paradigme républicain reposera sur l’apprentissage et la diffusion des Lumières (rôle central de l’instruction publique et de la vie scientifique et académique).

En un second temps il sera question de l’originalité du travail philosophique de Condorcet. Le philosophe a le souci de protéger le régime républicain du retour toujours possible des formes archaïques d’exercice du pouvoir politique (Sparte, féodalité, monarchie absolue). Pour cela il refuse de choisir entre Rousseau et Montesquieu en prônant une théorie de la loi présentée comme combinaison de la raison (pour la conception de la loi) et de la volonté générale (pour l’application de la loi). Le texte de novembre 1792 De la nature des pouvoirs politiques dans une nation libre sera étudié de plus près (œuvres complètes, édition Arago, tome X pages 589 à 613). La première partie du Projet de Constitution de février 1793 sera citée (œuvres complètes, tome XII, passim). Nous analyserons les conséquences institutionnelles et juridiques de cette démarche.

Enfin nous examinerons trois thèmes plus actuels que Condorcet pourrait nous aider à éclairer.

Atelier « L’idée de République » 2016-2017. Programme et calendrier

Responsables Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

4 séances le samedi de 10h à 12h30. À partir du 21 janvier, les séances ont lieu à l’ENS 45 rue d’Ulm : amphi Rataud le 21 janvier, salle des Résistants le 18 mars ainsi que le 3 juin.

19 novembre 2016 : Charles COUTEL, professeur des universités émérite en Philosophie du Droit à l’université d’Artois, Directeur de l’Institut d’étude des faits religieux.
L’idée de république permanente chez Condorcet

21 janvier 2017 :  Romain BERTRAND, professeur au lycée Henri Parriat de Montceau-les-Mines, doctorant à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense.
Ernst Cassirer et l’idée d’une république allemande

18 mars 2017 : Clara SCHMELCK, journaliste à Intégrales et philosophe des médias, chroniqueuse au Secret des sources à France Culture, contributrice à la revue Médium, Gallimard (dir. Régis Debray).
L’actualité de l’idée de république

3 juin 2017 : Pierre WINDECKER, professeur agrégé de philosophie (honoraire).
Réflexions à propos et à partir de l’idée du droit public selon Kant

Le programme sera poursuivi en 2017-2018 : on peut encore envoyer des propositions de communication pour cette session (formulaire de contact ci-dessous).

Formulaire de contact :

Conditions d’accès

Consignes de sécurité : l’accès aux séances reste libre et ouvert aux non-adhérents, mais il est nécessaire de prendre contact préalablement, et de se présenter aux séances muni d’une pièce d’identité.

Renseignements pratiques

Les séances ont lieu de 10h à 12h30,
Salle du CAPHES, 29 rue d’Ulm, 75005 Paris