Monde et esprit chez Hegel (Mohamed F. Touati)

Atelier Le Monde 2012-2013

Séance du 17 novembre 2012, 10h-12h30, salle du Caphés, 29 rue d’Ulm 75005 Paris

Monde et esprit chez Hegel
Mohamed Fayçal Touati (université Toulouse 2 Le Mirail)
Argument

La conception hégélienne du rapport de l’esprit au monde est d’une complexité redoutable qui n’est pas sans présenter un intérêt majeur pour penser la notion de monde et les enjeux actuels qui y sont attachés, ce que montrent en particulier les développements récents de la philosophie sociale et l’importance cruciale de la discussion qui y est menée avec Hegel. L’une des difficultés tient dans la compréhension du processus de/qu’est l’esprit et que le § 386 de l’Encyclopédie des sciences philosophiques qualifie de «  libération  ». Il est tentant, notamment dans l’analyse de la question de l’aliénation chez Hegel ou de sa philosophie de l’histoire, d’y voir à l’œuvre le thème de la kénose divine, la dialectique n’étant plus ainsi que la traduction philosophique d’un schéma kénotique puissant qui donnerait tout son sens à la pensée hégélienne. Or, en ramenant ainsi la dialectique à la kénose, rien n’est plus facile alors que de se débarrasser de la première au profit de la seconde, soit qu’il s’agisse de défendre une lecture théologique, soit de se défaire d’un héritage jugé encombrant. A l’opposé de cette stratégie interprétative, je reprendrai et développerai l’idée, suggérée par E. Brito, selon laquelle Hegel réduit la représentation religieuse de la kénose à une allégorie spéculative et je me concentrerai alors sur le problème du statut de l’extériorité chez Hegel sous l’angle du monde historico-social.
C’est qu’il ne suffit pas de parler de dialectique pour que le problème soit résolu et les critiques adressées à Hegel par Marx, notamment, sur le statut de l’extériorité constituent en cela un parfait exemple. Mais imiter un bon exemple n’est pas le copier  : ces critiques ont, pour une part, leur source dans une lecture de la pensée politique de Hegel qu’il s’agit d’interroger. Ainsi la critique de Marx de 1844 repose-t-elle sur le principe méthodologique, énoncé dès 1841, selon lequel il ne suffit pas de critiquer l’accommodement de Hegel à la réalité politique et sociale de son temps, il faut encore déterminer le principe de cet accommodement tel qu’il est à l’œuvre au cœur du système hégélien. Autrement dit, le principe méthodologique de la lecture marxienne de Hegel repose tout entier sur le présupposé politique de l’accommodement et c’est à partir de lui que Marx considère que, avec Hegel, nous avons affaire à un philosophe qui, dans sa Phénoménologie, nous enseignerait, selon la formule de La Sainte famille, «  l’art de métamorphoser les chaînes réelles objectives, existant en dehors de moi, en chaînes purement idéales purement subjectives, existant purement en moi, et par conséquent toutes les luttes extérieures et concrètes en simples luttes d’idées  ». Par là, nous retrouvons la critique de 1844 et sa transformation du concept d’aliénation  : le scandale pour Hegel, selon Marx, c’est l’extériorité comme extériorité et c’est elle qu’il chercherait à supprimer en supprimant son altérité. Ainsi, le conservatisme supposé de Hegel et la suppression de l’extériorité comme extériorité, la suppression du monde réel, sont les deux faces du problème qui nous occupe.
En prenant pour fil conducteur la question de l’aliénation et celle de la révolution, en les croisant et en discutant les lectures de Marx, de Lukacs et de l’actuelle philosophie sociale, je ferai l’hypothèse que Hegel nous offre des outils précieux pour penser les enjeux de notre actualité  : avec lui déjà, la question n’est pas tant celle de l’aspiration à un autre monde possible ou de la confirmation spéculative de l’état de choses existant que la transformation pratique du seul monde qui soit par la réalisation de possibles émancipateurs. En cela, s’il y a bien un scandale pour Hegel, ce n’est pas tant celui de l’extériorité comme telle que sa déraison, c’est-à-dire, notamment, l’irrationalité et l’injustice de ce monde historico-social qui est le sien et qui, par bien des aspects, reste le nôtre.

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