République ou démocratie ? (par A. Baudart)

Atelier « L’idée de république » (2e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 26 mai 2018

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm,
salle Beckett, 10h-12h30

 

« République ou démocratie ? »

Anne Baudart, professeur de chaire supérieure et essayiste, secrétaire générale de la Société française de philosophie et vice-présidente de l’Association internationale des Sociétés de philosophie de langue française

Le libellé programmatique de cet atelier : République ou Démocratie ? est proposé à l’interrogation autant qu’à l’investigation. Pourquoi l’apparente – ou réelle – disjonction ? Cache-t-elle une forme de conjonction à dévoiler peu à peu ?

L’histoire antique et moderne sera la toile de fond de l’analyse et du questionnement. Par ailleurs, le terme politeia ouvre déjà la réflexion sur un ensemble de questions. Il désigne à la fois la « république », comme genre ou comme idée, mais aussi « le gouvernement » ou la « constitution ». Il peut, de plus, être à incidence individuelle ou collective, théorique ou pratique.

Chez Hérodote, là où on le voit apparaître au Ve siècle avant notre ère, il désigne le « droit de cité ». L’emploi du terme est d’abord rare, puis se répand avec une plus grande fréquence chez les historiens (Hérodote, puis Thucydide), les orateurs et les philosophes. Platon et Aristote ont consacré à la Politeia des analyses de poids et Aristote a même consigné 158 constitutions dont il ne nous reste que la Constitution d’Athènes, si riche en éléments juridiques et politiques. Grâce à elle, par exemple, en s’appuyant aussi sur d’autres sources, il est permis de saisir les moments clefs du siècle ouvrant à la fondation démocratique, de comprendre les raisons de sa brève durée gouvernementale, puis celles de son déclin.

Nous ne manquerons donc pas de consulter le legs gréco-romain sous plusieurs angles, notamment historien, juridique et philosophique.

Le couple « République et/ou Démocratie » y circule-t-il ? Selon quelles combinatoires, selon quels avatars ? Quel enseignement délivre-t-il pour la postérité ? De quelles institutions lui sommes-nous redevables ?

En quoi le De Republica de Cicéron a-t-il marqué Jean Bodin ou Jean-Jacques Rousseau ? Peut-on tracer des lignes de force où d’un côté, la République renverrait à un idéal-type, de l’autre à un régime politique, qui la mettrait aux côtés de la démocratie ? Le débat, dont l’origine est antique, prend un regain de vigueur au XVIIIe siècle, si l’on compare la théorie politique d’un Rousseau ou d’un Montesquieu. Par ailleurs, l’empreinte de Platon sur Kant ne peut pas être passée sous silence lorsqu’on traite de l’Idée de République et de ses vertus

Chez les Anciens comme chez les Modernes, l’apparente ou réelle disjonction République ou Démocratie ? contraint à revisiter une tradition philosophique ancrée sur la longue durée, soucieuse de défendre la cause du bien public et l’intérêt de citoyens épris, hier, comme aujourd’hui, de liberté, d’égalité et de fraternité.

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De l’idée de république à l’esprit de république : J.-J. Rousseau… (par Henri Élie)

Atelier « L’idée de république » (2e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 17 mars 2018

Ecole Normale Supérieure 45 rue d’Ulm,
salle Weil, 10h-12h30

 

« De l’idée de république à l’esprit de république :
Jean-Jacques Rousseau et la vocation politique du penseur »

Henri Élie, professeur de chaire supérieure, inspecteur pédagogique régional.

Cette intervention visera tout d’abord à présenter les raisons principales pour lesquelles la philosophie de Jean-Jacques Rousseau nous a semblé un apport incontournable dans une réflexion sur l’idée même de République, qui fait l’objet de notre atelier.

La première de ces raisons, et la plus manifeste, est que Jean-Jacques Rousseau est sans doute avec Emmanuel Kant le penseur moderne qui a, de la manière la plus affirmée et la plus explicite, proprement identifié la notion même d’Etat de droit, d’association politique légitime, à celle de République. Rappeler les gestes essentiels ( et d’abord, la sorte de « révolution copernicienne » opérée par Rousseau dans le champ politique) qui permettent cette identification et chercher à en rendre raison – précisément en ne faisant d’abord appel qu’à la seule raison et en fournissant ainsi à la politique un véritable principe, principe dès lors suffisamment souverain pour s’imposer aux peuples comme à leurs princes – tel sera l’objet du premier temps de l’intervention.

Mais si ce premier temps nous permettra de saisir la République comme une véritable Idée de la raison, qui se distingue, comme on le sait, d’un simple idéal de l’imagination, notamment par sa capacité à tenir le rôle d’un véritable principe constitutif, en l’occurrence du « droit politique » (cf. le titre même du Contrat Social ou Principes du droit politique), il nous faudra pourtant, dans un second temps, prolonger la réflexion sur ce que peut et doit être la saine constitution d’une République si l’on veut, non seulement comprendre ce que peut être son acte (y compris au sens juridique du terme) de naissance, non seulement même les puissances qui lui permettent de vivre par l’expression et l’exercice de sa volonté libre, mais aussi comment elle peut parvenir à conserver le plus longtemps possible son unité et son intégrité (tant physique que morale) en dépit des processus internes qui, pour le corps politique produit par l’art des hommes comme pour tout corps vivant produit par la nature, œuvrent dès la naissance à sa destruction. Le second temps de l’intervention cherchera alors à mettre en évidence que cette puissance de veille et de sauvegarde de l’intégrité du corps politique des peuples libres, seule à même de résister à l’incessante tendance de ceux qui détiennent le pouvoir à l’usurper à leur seul profit (quand bien même en République, ils n’en sont que les commis), ne réside pas seulement dans la compréhension intellectuelle de l’idée de République, mais dans un sentiment qui en constitue la vertu politique essentielle. Ce sentiment et cette vertu politique sans lequel l’Idée même de République risque d’être privée de puissance, c’est ce que nous proposerons d’appeler l’esprit républicain ou l’esprit de République.

La conclusion pourra alors insister sur un dernier point : par-delà, ou plutôt à travers l’examen des trois figures politiques majeures du Contrat Social que sont le Souverain, le Législateur et le Prince, c’est la personne du Citoyen qui nous apparaîtra pour finir comme l’acteur principal de toute véritable République. C’est que le citoyen n’est pas seulement chez Rousseau celui qui, avec le droit de vote par exemple, a le droit de participer de temps en temps à la vie publique , mais bien celui qui a le devoir, (comme l’indique expressément le Contrat Social dès son texte préface au tout début du Livre I), «  de s’instruire » suffisamment sur la politique pour lui permettre d’assurer instamment et constamment la sauvegarde de la République, , en en cultivant et en en préservant l’esprit . Telle est l’entreprise proprement de « salut public » à quoi nous invite Jean-Jacques Rousseau, et à laquelle il n’a pour sa part jamais renoncé, en dépit d’avoir dû finir par renoncer au seul titre qui l’importait et qu’il porta deux fois ( l’un par hasard heureux de la naissance, l’autre par libre choix ) ce titre de « citoyen de Genève » qui signe en quelque sorte à travers toute son œuvre la vocation politique du penseur.

Remarque : l’intervention, même si elle fera par moments référence à d’autres ouvrages de Rousseau, est essentiellement centrée sur la lecture du Contrat Social, dont elle interroge l’objectif final ainsi que la dynamique générale. Elle donnera une importance particulière au premier texte du Livre I qui en précède les chapitres numérotés. L’édition du Contrat Social utilisée est celle parue dans la collection GF Flammarion, présentée et annotée par Bruno Bernardi.

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Atelier « L’idée de république » 2e année 2017-2018

Responsables Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

4 séances le samedi de 10h à 12h30 à l’Ecole normale supérieure

1 – 18 novembre 2017, Martine Chifflot, docteur, habilitée à diriger des recherches, agrégée de philosophie, a enseigné à l’université de Lyon 1 :
« En quoi et dans quelle mesure l’idée de république est-elle esquissée ou configurée par la conception platonicienne du pouvoir politique ? »
ENS 24 rue Lhomond 75005 Paris, Salle L 361
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2 – 20 janvier 2018, Jérôme Esnouf, professeur au lycée Janot de Sens, docteur en science politique :
« Les frontières, une limite à l’idée de république ? »
ENS 45 rue d’Ulm 75005 Paris, salle Beckett
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3 – 17 mars 2018, Henri Élie, professeur de chaire supérieure, inspecteur pédagogique régional :
« De l’idée de république à l’esprit de république :
Jean-Jacques Rousseau et la vocation politique du penseur ».
ENS 45 rue d’Ulm 75005 Paris, salle Weil
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4 – 26 mai 2018, Anne Baudart, professeur de chaire supérieure et essayiste, secrétaire générale de la Société française de philosophie et vice-présidente de l’Association internationale des Sociétés de philosophie de langue française :
« République ou démocratie ? »
ENS 45 rue d’Ulm 75005 Paris, salle Beckett

 

Les frontières : une limite à l’idée de république ? (par J. Esnouf)

Atelier « L’idée de république » (2e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 20 janvier 2018

Ecole Normale Supérieure 45 rue d’Ulm, salle Beckett
10h-12h30

 

« Les frontières, une limite à l’idée de république ? »

Jérôme Esnouf, professeur au lycée Janot de Sens, docteur en science politique

Le concept classique de démocratie, en désignant une forme spécifique de gouvernement, échoue à penser la nature du lien politique en vertu duquel une société humaine peut être dite universellement « juste », au-delà de ses particularismes propres. L’idée de République, dans cette perspective, permet de penser une telle universalité de la justice en remontant à un principe inconditionné de l’unité humaine, sans se borner à considérer les seules modalités techniques de la décision collective. C’est pourquoi tout gouvernement démocratique peut fort bien assumer une série de particularismes sur le plan territorial, ethnique ou encore culturel, tandis que la République, en tant que principe idéal transcendant les contingences historiques, impose une référence nécessaire à telle ou telle sorte d’universalité pour désigner la sphère d’inclusion potentielle dans laquelle elle se reconnaît. C’est ainsi que Cicéron, illustre citoyen de la République romaine, entendait moquer l’étroitesse de vue de la démocratie athénienne : « Les Athéniens ont inventé qu’ils étaient sortis de terre, comme nos souris de la surface des champs » (cf. De Republica, III, 15, 25). L’autochtonie athénienne et la pratique grecque des horoi territoriaux répugnaient ainsi au cosmopolitisme antique de Rome. Mais aussitôt restaurée et proclamée, l’universalité de la République romaine devait reconnaître ses propres « fines imperii », c’est-à-dire ces bornes territoriales que l’empereur Auguste dut, de mauvais gré, reconnaître comme étant celles de Rome elle-même. La « Ville éternelle » apprit donc que la République, universelle et sans limites dans son principe, devait accepter de s’incarner dans un corps historique qu’une limitation extérieure et une fragmentation intérieure ne pouvaient que menacer en toute circonstance.

La renaissance européenne de l’idée républicaine, durant les temps modernes, assuma cette fois cette double dimension paradoxale de sa manifestation temporelle : elle épousa désormais les contours territoriaux des Etats-nations naissants, tout en se fondant sur une nouvelle forme d’universalisme idéal qui, délaissant le règne cosmique des Cieux, pouvait désormais se recentrer sur la seule raison individuelle humaine. L’idée de République, en refusant toute forme d’autorité extérieure à la raison individuelle, et en imposant une limite intérieure très claire entre le domaine public et le domaine privé d’une part, et entre le politique et le religieux d’autre part, se donnait les armes adéquates pour contester tout principe impérial, excepté celui qui se fonderait sur l’idée nouvelle de la « nation ». Or la nation, désignant initialement une région locale où se reconnaissent un ensemble de natifs réunis en une communauté sociale donnée, va devenir un concept politique opératoire, désignant cette fois tout peuple doué d’une souveraineté absolue sur son propre devenir collectif. L’idée de République, enracinée durant les temps modernes dans le concept de nation, présentera ainsi cette alchimie inédite qui transforme le particulier en universel, rendant désormais correspondantes les idées de « citoyen » national particulier et d’ « homme » universel.

C’est avec la Révolution française que naquirent puis se généralisèrent les frontières politiques linéaires, distinguant des périmètres de souveraineté distincts. L’idée de République s’incarna dans des limites nationales, culturelles et territoriales particulières clairement identifiées, partageant en commun la célébration de la raison. Or, tandis qu’elle tendit à éliminer toutes les formes antérieures de limites intérieures, d’ordre juridique, administratif ou culturel, la République vit pourtant reconduire de nouvelles formes de limites, d’abord vers l’extérieur : d’une part entre les Etats-nations eux-mêmes, qui entrèrent alors dans des rapports concurrentiels tels qu’ils articulaient l’affirmation solitaire de soi et l’interdépendance solidaire avec d’autres, créant des situations géopolitiques particulièrement instables, et transformant les frontières nationales en espaces belligènes ; d’autre part entre la société « développée » en général et toute société humaine vivant à « l’état de nature » et donc à l’écart du progrès, justifiant par là une politique assumée de domination coloniale ou néo-coloniale. L’idée de République suscita également de nouvelles formes de limites sociales intérieures selon une ségrégation spécifique, comme le montrent les travaux d’Etienne Balibar, par exemple entre une société et une « culture » bourgeoises dominantes et d’autres formes de minorités sociales dominées, ou encore aujourd’hui entre une « élite » cosmopolite et aisément mobile, et des masses migratoires subissant les ressorts humiliants de l’administration frontalière nationale et internationale. De nouvelles limites issues de la souveraineté nationale sont donc bien présentes, à l’époque moderne et contemporaine, et parfois nocives pour la garantie de l’unité du genre humain, sur laquelle l’idée de République fonde pourtant sa légitimité.

La République, dans son expression moderne, manifeste avant tout le principe de l’autodétermination politique : se fondant sur ses seules ressources, la raison humaine individuelle délaisse progressivement toute forme d’autorité provenant d’une source religieuse, naturelle ou encore idéologique qui lui resterait extérieure. Elle prend alors le risque de susciter de nouvelles formes d’opposition et de ségrégation, dont le développement actuel, à l’heure où s’érigent des murs sur le pourtour mais également à l’intérieur des diverses républiques occidentales, suscite l’interrogation suivante : faudrait-il révoquer en doute ce principe républicain d’une autodétermination de la raison, en l’opposant à une sorte de « principe d’incomplétude » anthropologique, fondant tout lien politique possible sur une solidarité sociale dont la source lui serait nécessairement extérieure et supérieure ? Ou importerait-il, à l’inverse, de radicaliser ce principe d’autodétermination vers son ouverture intégrale vers l’horizontalité, c’est-à-dire vers une démocratisation réelle des procédures politiques contemporaines par l’intégration effective de tous les individus qu’elles concernent, afin de supprimer, cette fois, toute forme de limite arbitraire entre les hommes ? La question, en somme, serait de savoir s’il est nécessaire de continuer à fonder toute démocratie politique particulière sur une idée universelle de la République, ou bien au contraire de rénover cette dernière à travers une démocratisation radicale des procédures institutionnelles et juridiques qui la manifestent concrètement. Il semblerait que, dans les deux cas, celui d’une fermeture verticale comme celui d’une ouverture horizontale pleinement assumées, ce soit le principe républicain de l’autodétermination rationnelle et souveraine du lien politique qui soit aujourd’hui remis en cause.

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Sur la conception platonicienne du pouvoir politique (M. Chifflot)

Atelier « L’idée de république 2e année »,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

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Séance du 18 novembre 2017, 10h-12h30,
ENS Salle L 361,  24 rue Lhomond 75005 Paris

« En quoi et dans quelle mesure l’idée de « république » est-elle esquissée ou configurée
par la conception platonicienne du pouvoir politique ? »

par Martine Chifflot, docteur, habilitée à diriger des recherches, agrégée de philosophie honoraire, enseignante à l’université de Lyon 1 :

Le titre, « La République », communément attribué à la somme philosophique de Platon m’a suffisamment intriguée pour que je m’engage dans une enquête philosophique à son propos. Le modèle républicain semble avoir prévalu pour les constitutions modernes. Mais de quoi s’agit-il au juste et au plus juste du concept ? Dans ladite « République », Platon forge un paradigme très convaincant qui inspirera la tradition politique. Critiquant le régime démocratique, en raison des excès « libertaires » qu’il engendre, il élabore pourtant un modèle exigeant qui fait rempart contre la tyrannie et semble garantir la sauvegarde d’un bien commun.

« En quoi et dans quelle mesure l’idée de « république » est-elle esquissée ou configurée
par la conception platonicienne du pouvoir politique ? »

Telle est la question qui m’a paru correspondre à la problématique sous-jacente dont la résolution est capitale pour l’institution d’un ordre politique suffisamment juste. S’il me semble arriver à une conclusion paradoxale, c’est avec le plus grand intérêt que je verrai la discussion s’ouvrir à partir de mon exposé et de quelques textes significatifs.

Bibliographie

PLATON, La République, traduction G. Leroux, GF Flammarion, Paris, 2002.

CHIFFLOT Martine, Platon, l’âme et le bien, Editions Publibook, Paris, 2015

DIXSAUT Monique sous la direction de, Études sur La République de Platon, 1. de la justice ; 2. De la science du bien et des mythes, Vrin, Paris, 2005.

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