Littérature, philosophie, vie et vérité (A. Champseix)

Atelier « Littérature et philosophie », 2023-2024,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

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Alain Champseix, Lycée Maurice Genevoix, Ingré (Loiret)

Littérature, philosophie, vie et vérité

Samedi 18 novembre 2023

Il n’y a ni littérature ni philosophie sans rapport à la vérité, sauf à penser que la première n’est jamais qu’une distraction. Mais, si tel était le cas, elle n’instruirait pas. Le penser, cependant, est une chose, le comprendre une autre car ce qui est ainsi en jeu avec une telle idée n’est pas seulement le rapport entre ces deux activités humaines mais la nature même de la vérité. Qu’est-elle si elle peut être abordée soit par le concept soit par l’imagination ? Il est possible d’estimer que le paragraphe 51 de la Critique de la faculté de juger (du début jusqu’aux premières lignes du point n° 2) de Kant peut nous aider à y voir plus clair sur ce point tant il montre que l’imagination peut contribuer à enrichir l’entendement sans même chercher à le vouloir. Seulement, cette thèse a sa contrepartie : si l’imagination n’est pas étrangère au concept, c’est que ce dernier, en retour, ne saurait se réduire à la représentation que l’on s’en fait souvent : le résultat d’un goût quelque peu immodéré pour l’abstraction et, finalement, une fuite devant le réel. Il y aurait d’un côté la littérature vivante et, de l’autre, la philosophie altière et éthérée ; la vérité, finalement, étant plutôt du côté de la première. A l’appui, on cite souvent certains écrivains éminents : « Toute théorie est grise, mais vert florissant est l’arbre de la vie. » dans le Faust de Goethe ou « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Horatio, que dans toute votre philosophie » dans l’Hamlet de Shakespeare. En réalité, il est possible de penser autrement comme peuvent le montrer des lectures plus attentives du philosophe allemand ou de ce poète français que fut Mallarmé [Jules Huret, Enquête sur l’évolution des courants littéraires, in chapitre « Symbolistes et décadents ». Entretien avec Stéphane Mallarmé] : par le langage, le concept, qu’il soit abordé par la philosophie ou par la littérature, n’est jamais coupé de la vie. Encore faudra-t-il tâcher de préciser le sens de cette dernière notion.

Texte de la conférence téléchargeable ici.

Documents de la séance disponibles ici.

Une contribution substantielle de L’Homme sans qualités. Les réponses de Musil à la question de la vie juste (P. Fasula)

Atelier « Littérature et philosophie », 2022-2023,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

21 janvier 2023

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Pierre Fasula, chercheur associé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Une contribution substantielle de L’Homme sans qualités
Les réponses de Musil à la question de la vie juste

Il est notable que le projet de Jacques Bouveresse, dans La voix de l’âme et les chemins de l’esprit a consisté en « la découverte progressive de Musil non pas comme écrivain, un aspect sur lequel il est suffisamment connu, mais comme penseur, et même, plus précisément, comme philosophe » (p.11). À l’inverse, Vincent Descombes, dans son Proust. Philosophie du roman (1987) souligne le contraste entre, d’un côté, Proust, et de l’autre Thomas Mann et Robert Musil : « chez ces deux derniers auteurs, la spéculation conserve un tour dramatique […] les personnages auxquels l’auteur confie l’intérêt théorique ne sont pas des sujets pensants auxquels attribuer des pensées. Ce sont les suppôts de forces et de tensions. […] Du même coup, l’auteur est celui qui n’a rien à dire de plus. Dans l’ordre du dogme, l’auteur figure comme un sceptique passionné » (p.40). Découvrir le philosophe en Musil ou le voir comme un sceptique passionné – que peut-on attendre de philosophique d’un roman comme celui de Musil ? Notamment, que peut-on en attendre concernant la question que se pose Ulrich, celle de la vie juste, qu’il formule ainsi : « comment dois-je vivre ? »

Dans cette conférence, on commencera par décrire la voie empruntée entre ces deux jugements : être attentif moins aux idées philosophiques explicites du roman qu’à la situation narrative d’Ulrich, qui nous semble éclairer la question de la vie juste et le « sens du possible » qui caractérisent Ulrich. Dans un second temps, on se focalisera précisément sur les rapports entre littérature, vie juste et utopie, la question étant la suivante : dans quelle mesure le roman peut-il fournir une contribution substantielle en philosophie morale ?

Bibliographie

J. Bouveresse, Le Mythe de l’intériorité, Paris, Minuit, 1987.

J. Bouveresse, La Voix de l’âme et les chemins de l’esprit, Paris, Seuil, 2001.

J. Bouveresse, L’Homme probable, Paris, Éclat, 2005.

V. Descombes, Proust. Philosophie du roman, Paris, Minuit, 1987.

V. Descombes, Les Embarras de l’identité, Paris, Gallimard, 2013.

V. Descombes, « Grandeur de l’homme moyen », dans Critique, 1994, 50/567-568, p. 661-677.

F. Hayek, La Constitution de la liberté, Paris, Institut Coppet, 2019.

R. Musil, L’homme sans qualités, tr. fr. P. Jaccottet, Paris, Seuil, 1956.

O. Neurath, « Utopia as a social engineer’s construction », dans Empiricism and sociology, p. 150-155.

Texte de la conférence téléchargeable ici.

Cosmologie, désillusion et subjectivité. Pierre Corneille et les conditions de possibilité du théâtre (C. Kintzler)

Atelier « Littérature et philosophie » 2022-2023,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni 

Samedi 19 novembre 2022, 10h-12h30. (ENS, 45 rue d’Ulm salle Weil)
Catherine Kintzler, professeur honoraire, université de Lille :

Cosmologie, désillusion et subjectivité.
Pierre Corneille et les conditions de possibilité du théâtre

Principaux points abordés :

  • Par sa seule existence, le théâtre est cosmologique. Corneille affronte la question avec une théorie de la vraisemblance qui s’interroge sur les butées du monde représentable possible.
  • Le théâtre se présente comme « illusion », mais il montre en quoi l’illusion et l’erreur sont constitutives de la connaissance. Le dispositif théâtral révèle l’inquiétude fondamentale de l’acte de connaître.
  • La place et le statut du sujet sont engagés : comment se penser comme exception ?

Textes et documents :

Pierre Corneille,

  • Trois discours sur le poème dramatique, éd. Louvat-Escola, Paris, GF, 1999.
  • Théâtre, édition au choix. Outre les pièces tragiques les plus connues, les références seront faites principalement à L’Illusion, Médée, Rodogune.

Je m’inspirerai de travaux que j’ai menés antérieurement, notamment (on trouvera des indications bibliographiques développées dans les références citées ci-dessous) :

  • Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, Paris : Minerve, 2006 (1991), I, II, chap. 2.
  • Théâtre et opéra à l’âge classique, Paris : Fayard, 2004, chap. 1.
  • « L’Illusion de Pierre Corneille. L’optique philosophique et le temps de comprendre », Revue de Métaphysique et de morale, 2018/2, p. 183-198, accès libre sur Cairn https://doi.org/10.3917/rmm.182.0183 version initiale (2006) sur Mezetulle https://www.mezetulle.fr/lillusion-comique-de-corneille

Séance retransmise par visioconférence.

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La condition esthétique de la philosophie (G. Pigeard de Gurbert)

Atelier « L’art et les beaux-arts » 2020-2021,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance prévue le 14 novembre 2020, reportée au 20 mars 2021

10h-12h30 visioconférence

Guillaume Pigeard de Gurbert, Professeur de Première supérieure au lycée Gay-Lussac de Limoges : La condition esthétique de la philosophie.

Présentation
(Vous trouverez ci-dessous le lien de téléchargement de l’exposé intégral)

Je partirai de ce fait, difficile à ne pas prendre en compte tant il est indissociable de son histoire, que la philosophie semble ne pouvoir se penser elle-même que dans sa relation aux beaux-arts et à l’art en général. La généralité de ce fait engage à en interroger le sens. Que l’art agisse parfois sur la philosophie comme un repoussoir ne fait que le confirmer : « le différend, c’est Platon qui le dit, est ancien entre la philosophie et la poésie » (La République, X, 607b).

Ni simple domaine voisin du sien, ni authentique territoire sur lequel elle s’exercerait de plein droit, l’art figure pour la philosophie une altérité déterminante. Cette détermination de la philosophie par l’art et plus encore par ses œuvres, prend fondamentalement deux significations, celle d’une autodétermination et celle d’une altérité constituante.

Son altérité, l’art la tient de la nature sensible des œuvres sans laquelle celles-ci ne seraient pas précisément des œuvres d’art. Or, la prise en compte incontournable de la dimension esthétique de l’art confronte la philosophie au problème de sa propre sensibilité. Et ce problème, loin d’être régional, engage la philosophie corps et âme.

On peut distinguer deux modalités principales de la condition esthétique de la philosophie. La première consiste à prendre pour ainsi dire directement le sensible en main afin de neutraliser son altérité pour en faire le corps docile que pilote l’intelligible qui s’y incarne. Cette modalité de la condition esthétique de la philosophie relève du régime mathématique de la pensée, de l’action d’intelliger, qui dissout l’altérité dans une ontologie de l’identité. On peut interpréter le faux départ de la Phénoménologie de l’Esprit, qui risquait d’enliser dans l’œuf le cycle du concept en l’installant dans la certitude sensible, comme une manière de désaveu rétrospectif, par la philosophie hégélienne, de sa condition esthétique. Repentir que l’entreprise encyclopédique aura pour objet d’effacer en situant l’intelligible au principe du sensible, celui-ci n’étant désormais plus autre chose que le corps que se donne l’intelligible en sortant de soi. Ici l’esthétique n’est pas tant le territoire du sensible que celui de l’apparence, conçue comme terrain d’action de l’intelligible œuvrant à sa propre réalisation.

La seconde modalité, la modalité pathétique, mobilise l’altérité sensible pour assurer un rapport au sensible favorable à la pensée. La philosophie y assume cette fois la sensibilité de la pensée. Elle va même jusqu’à surprendre la pensée en plein éblouissement, semblant l’exposer au joug de l’altérité. Seulement cette sensibilité de la pensée au beau est devenue une sensibilité pensante, et si le beau ravit la pensée, c’est qu’il l’exauce ce faisant. Si la condition mathématico-esthétique de la philosophie désamorçait par avance l’altérité sensible, sa condition pathétique, véritable sensibilité à l’intelligible, la simule. Dans le régime pathétique de la philosophe, la pensée pâtit bel et bien, mais de l’intelligible. C’est, au plus haut point, ce Beau qui appartient à l’éthique et dont Platon dit dans le Phèdre (250d) qu’il est ce qu’il y a de « plus éclatant » (ekphanestaton).

Ces deux modalités, quelles que soient leurs différences profondes, ont une motivation commune : faire que la sensibilité de la pensée ne compromette pas la philosophie mais garantisse sa nécessité de penser. L’esthétique mathématique commence par anesthésier la pensée afin qu’elle ne rencontre, en lieu et place de l’altérité sensible, que l’identité logique extériorisée. L’esthétique pathétique, elle, sublime l’altérité sensible en altérité intelligible.

Le déni mathématique de l’altérité sensible qui l’égale dans le temps à l’identité intelligible, comme sa sublimation pathétique, ne trahissent-ils pas l’un et l’autre deux conduites philosophiques pour conjurer la condition esthétique de la philosophie ?

Il faudrait alors tenter de suivre au plus près le travail philosophique sur le sensible à l’œuvre dans les arts, en reconsidérant, selon ce problème, la classification des différents arts qu’expose Hegel dans ses cours d’esthétique. Il faudrait, plus précisément encore, interroger cette dernière à partir de la hiérarchie qu’il établit dans L’Encyclopédie (§§ 402-403) entre le mutisme de l’affect (Empfindung) et les balbutiements du sentiment de « l’âme ressentante » (fühlende Seele). Bien qu’il garantisse a priori le primat de l’identité logique sur l’altérité esthétique, Hegel ne peut éviter le problème de l’affect qui expose la pensée à un dehors. Peut-être le sens de sa philosophie est-il à chercher dans son travail pour suturer le hiatus qui sépare l’affect du sentiment, et infléchir celui-là dans le sens de celui-ci.

Les œuvres d’art ne confrontent-elles pas la philosophie à sa propre condition esthétique qui lui fait sentir, au contact des œuvres d’art, le risque qu’elle ne pense pas et ne puisse pas penser ? Cette condition esthétique de la philosophie, qu’elle tente sans fin de se réapproprier, je propose de l’appeler « pathématique », le sens de ce terme dont l’usage s’est perdu étant largement attesté en philosophie, depuis Platon et Aristote, jusqu’au texte latin des Principes de la philosophie de Descartes. Extériorisation mathématique du même et éblouissement pathétique de l’autre ne doivent-ils pas se comprendre, en dernière analyse, à partir du risque congénital pour la philosophie d’un aveuglement pathématique ? L’art n’expose-t-il pas effectivement la philosophie à cette sensibilité de la pensée à l’autrement que pensable, sensibilité sans laquelle certes la pensée serait assurée a priori de son existence, mais qu’aurait-elle alors à penser d’autre qu’elle-même ?

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Peut-on penser l’art sans le beau ? (J.-M. Frey)

Atelier « L’art et les beaux-arts » 2020-2021,
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 16 janvier 2021, 10h-12h30, en visioconférence.

Jean-Marie Frey, Professeur en Lettres supérieures au lycée Henri Bergson  d’Angers : Peut-on penser l’art sans le beau ?

Présentation

En 2019, le Conseil International des Musées propose une nouvelle définition du musée qui écarte résolument toute évocation de la beauté dans le domaine artistique. « Les musées, écrit-il, sont des lieux de démocratisation inclusifs et polyphoniques, dédiés au dialogue critique sur les passés et les futurs. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils sont les dépositaires d’artefacts et de spécimens pour la société. Ils sauvegardent des mémoires diverses pour les générations futures et garantissent l’égalité des droits et l’égalité d’accès au patrimoine pour tous les peuples. Les musées n’ont pas de but lucratif. Ils sont participatifs et transparents, et travaillent en collaboration active avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, étudier, interpréter, exposer, et améliorer les compréhensions du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice. » En lisant cette définition, on se surprend à penser qu’il est temps de sortir de la torpeur métaphysique qu’engendre une trop longue fréquentation des vieilles philosophies et des œuvres du passé. On se dit qu’il faut renoncer à l’appel périmé de l’universel, qu’il convient au contraire de se tourner résolument vers une démocratisation « inclusive » et « polyphonique » permettant le dialogue entre des communautés diverses dans le respect de la diversité des passés, des futurs et des mémoires, et que les anciens espaces silencieux consacrés à la contemplation de belles œuvres doivent être remplacés par des lieux participatifs puisqu’il n’y a plus des œuvres dart mais seulement des « artefacts » et des « spécimens ». Une question, ici : peut-on penser l’art sans le beau ?

Nous envisagerons ce que pourrait signifier un art « débarrassé » du beau. On croit volontiers que la beauté artistique s’est retirée. On prétend alors que son décès est une chose entendue. Mais n’y a-t-il pas là une illusion ? Comment, sans référence aucune à la contemplation du beau, pourrions-nous, par exemple, envisager la distinction élémentaire de la production artistique et de la production technique ? Nous verrons que, dans le domaine artistique, la beauté ne se laisse pas faire. On la croit morte ou à tout le moins reléguée dans des expositions datées, exilée aux confins de temps lointains irrémédiablement passés. Or il se pourrait que l’art ne puisse pas se passer d’elle. Si l’art ne vise certes pas la représentation de belles choses, n’est-il pas essentiellement attaché, selon la formule de Kant, à la belle représentation d’une chose ? On a d’abord prétendu que les artistes révèlent la beauté aux hommes comme des prophètes dévoilant le Verbe divin. On a ensuite affirmé qu’ils en sont les créateurs. Dorénavant, on soutient couramment qu’ils la refusent, qu’ils la déconstruisent. Pourtant, nous verrons qu’elle est peut-être toujours là. Certes, elle n’est plus apparente. Elle se tient en retrait. Toutefois, elle ne meurt pas tout à fait. Elle ne se résout pas à quitter le monde des représentations. Elle le hante. Nous examinerons donc cette thèse : l’art est nécessairement habité par le beau !

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La laïcité de la République. Un point de vue juridique (par G. Calvès)

Atelier « L’idée de république » (3e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 16 mars 2019

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm 75005 Paris, salle Weil, 10h-12h30

La laïcité de la République. Un point de vue juridique

Gwénaële Calvès, professeur de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise.

La France est une République laïque », énonce la Constitution de 1958. Lapidaire, l’affirmation est spécifiée, en droit positif, par un ensemble de principes ou de règles que nous commencerons par présenter. Chemin faisant, nous essaierons de montrer que les « composantes du principe de laïcité », comme disent les juristes, forment un système très cohérent, au service des idéaux constitutifs de la République : souveraineté, liberté, égalité.

Mais le système s’avère structurellement instable, car il est porteur d’exigences qui, dans certaines situations, peuvent s’avérer contradictoires. Il est alors traversé par des conflits de droits qui se résolvent, soit par des réaménagements au sein même du principe (une composante se voit accorder la priorité sur les autres, non pas in casu mais de manière pérenne), soit par le recours à des techniques plus ponctuelles, dites « de conciliation » (exemption, dérogation, accommodement raisonnable, suspension pure et simple de la règle applicable…). Nous proposerons une typologie sommaire de ces différents cas de figure, pour les soumettre à la discussion collective.

 

 La République et l’universel : vers un universel avec adjectif ? (par N. Fartas)

Atelier « L’idée de république » (3e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 19 janvier 2019

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm,
salle Weil, 10h-12h30

La République et l’universel : vers un universel avec adjectif ?

Nadia Fartas, professeur de Lettres, docteur en littérature, membre du comité de rédaction d’Images Re-vues, enseigne l’esthétique et la théorie des arts.

La Constitution de la République française repose sur l’idée d’universel puisque est stipulé que chaque être humain est considéré en tant que citoyen jouissant des mêmes droits que son semblable en raison de son indépendance vis-à-vis des appartenances à un ou plusieurs groupes, sans pour autant que soient niés les particularismes, la République étant démocratique. C’est pourquoi quand elle a lieu la remise en cause de l’universel se fait, le plus souvent, au nom d’une remise en cause de cette forme d’organisation politique, et partant, de l’État de droit. Est entre autres reproché à l’universalisme républicain, qui découle du projet des Lumières et de la Révolution, de faire fi de l’accès tardif des femmes aux droits civiques ainsi que des violences liées à l’uniformisation linguistique. Le projet républicain est en outre réduit à l’expansion coloniale et aux horreurs du colonialisme. Ne sont ainsi retenues que les trahisons et transgressions des principes républicains, lesquels sont adossés à la justice sociale. Une autre critique adressée à l’universalisme républicain consiste à confondre universalisme et uniformité, de sorte que les singularités et les différences seraient étouffées. D’autres soutiennent en revanche que tendre vers l’universel est la seule manière de remédier aux inégalités, aux discriminations et aux injonctions abusives. En ce sens, viser l’universel relève de l’exigence. L’universel fait donc beaucoup parler. Entre la suspicion et l’exigence, certains philosophes, sociologues ou essayistes s’attachent ainsi aujourd’hui à cerner les contours hautement politiques de la notion d’universel. L’une des marques de cette entreprise réside dans le mouvement de caractérisation dont l’universel fait l’objet. Concret, abstrait… mais aussi « humain », « rebelle », « contrarié », « intensif » : quelles réponses ces formes de qualification offrent-elles ? On verra comment celles-ci cherchent à refonder l’universel en renouvelant notamment les relations que cette notion entretient avec le singulier.

 

L’idée de république et la propriété (par A. Foucher)

Atelier « L’idée de république » (3e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 17 novembre 2018

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm,
salle Weil, 10h-12h30

« L’idée de république et la propriété »

Alexandre Foucher, commercial informatique, professeur de stratégie à l’IAE

Depuis Platon, la philosophie s’est faite politique afin de déterminer l’idée de République, c’est-à-dire afin de déterminer quel est le bon gouvernement, quelles sont les meilleures Cités. Déterminer l’idée de République permet d’avoir un modèle à partir duquel on peut mettre en place la critique et faire des recommandations politiques et sociales. L’idée de République est l’idée de justice appliquée à l’organisation du vivre ensemble : c’est la justice politique, c’est la justice dans la répartition des droits et des devoirs, dans la limite et l’épanouissement de la liberté, dans le respect de la propriété.

Ici nous tâcherons de montrer comment l’idée d’une bonne République est en fait déterminée par la notion que son penseur a de la propriété. C’est peut-être en fait moins la notion de justice qui détermine l’idée de République, que les notions, parfois présupposées, sur les droits à la propriété. L’évolution de la notion de propriété permet de remettre en perspective les positions de gauche de nombreux philosophes, ainsi que la notion même de justice individuelle et collective.

Pour cela nous travaillerons principalement sur Platon, La République, et Locke Le second traité du gouvernement.

Références bibliographiques

  • Platon, La République, La Pléiade
  • Platon, Timée, GF-Flamarion, trad Luc Brisson
  • Locke, Le second traité du gouvernement, PUF Epiméthée
  • Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Gallimard
  • Rousseau, Du contrat social, GF-Flamarion
  • Monique Dixsaut, Études sur la République de Platon, Vrin
  • Alexandre Matheron, Individu et collectivité chez Spinoza, Éditions de Minuit

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République ou démocratie ? (par A. Baudart)

Atelier « L’idée de république » (2e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 26 mai 2018

École Normale Supérieure 45 rue d’Ulm,
salle Beckett, 10h-12h30

 

« République ou démocratie ? »

Anne Baudart, professeur de chaire supérieure et essayiste, secrétaire générale de la Société française de philosophie et vice-présidente de l’Association internationale des Sociétés de philosophie de langue française

Le libellé programmatique de cet atelier : République ou Démocratie ? est proposé à l’interrogation autant qu’à l’investigation. Pourquoi l’apparente – ou réelle – disjonction ? Cache-t-elle une forme de conjonction à dévoiler peu à peu ?

L’histoire antique et moderne sera la toile de fond de l’analyse et du questionnement. Par ailleurs, le terme politeia ouvre déjà la réflexion sur un ensemble de questions. Il désigne à la fois la « république », comme genre ou comme idée, mais aussi « le gouvernement » ou la « constitution ». Il peut, de plus, être à incidence individuelle ou collective, théorique ou pratique.

Chez Hérodote, là où on le voit apparaître au Ve siècle avant notre ère, il désigne le « droit de cité ». L’emploi du terme est d’abord rare, puis se répand avec une plus grande fréquence chez les historiens (Hérodote, puis Thucydide), les orateurs et les philosophes. Platon et Aristote ont consacré à la Politeia des analyses de poids et Aristote a même consigné 158 constitutions dont il ne nous reste que la Constitution d’Athènes, si riche en éléments juridiques et politiques. Grâce à elle, par exemple, en s’appuyant aussi sur d’autres sources, il est permis de saisir les moments clefs du siècle ouvrant à la fondation démocratique, de comprendre les raisons de sa brève durée gouvernementale, puis celles de son déclin.

Nous ne manquerons donc pas de consulter le legs gréco-romain sous plusieurs angles, notamment historien, juridique et philosophique.

Le couple « République et/ou Démocratie » y circule-t-il ? Selon quelles combinatoires, selon quels avatars ? Quel enseignement délivre-t-il pour la postérité ? De quelles institutions lui sommes-nous redevables ?

En quoi le De Republica de Cicéron a-t-il marqué Jean Bodin ou Jean-Jacques Rousseau ? Peut-on tracer des lignes de force où d’un côté, la République renverrait à un idéal-type, de l’autre à un régime politique, qui la mettrait aux côtés de la démocratie ? Le débat, dont l’origine est antique, prend un regain de vigueur au XVIIIe siècle, si l’on compare la théorie politique d’un Rousseau ou d’un Montesquieu. Par ailleurs, l’empreinte de Platon sur Kant ne peut pas être passée sous silence lorsqu’on traite de l’Idée de République et de ses vertus

Chez les Anciens comme chez les Modernes, l’apparente ou réelle disjonction République ou Démocratie ? contraint à revisiter une tradition philosophique ancrée sur la longue durée, soucieuse de défendre la cause du bien public et l’intérêt de citoyens épris, hier, comme aujourd’hui, de liberté, d’égalité et de fraternité.

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De l’idée de république à l’esprit de république : J.-J. Rousseau… (par Henri Élie)

Atelier « L’idée de république » (2e année)
animé par Jacques Doly et Jean-Michel Muglioni

Séance du 17 mars 2018

Ecole Normale Supérieure 45 rue d’Ulm,
salle Weil, 10h-12h30

 

« De l’idée de république à l’esprit de république :
Jean-Jacques Rousseau et la vocation politique du penseur »

Henri Élie, professeur de chaire supérieure, inspecteur pédagogique régional.

Cette intervention visera tout d’abord à présenter les raisons principales pour lesquelles la philosophie de Jean-Jacques Rousseau nous a semblé un apport incontournable dans une réflexion sur l’idée même de République, qui fait l’objet de notre atelier.

La première de ces raisons, et la plus manifeste, est que Jean-Jacques Rousseau est sans doute avec Emmanuel Kant le penseur moderne qui a, de la manière la plus affirmée et la plus explicite, proprement identifié la notion même d’Etat de droit, d’association politique légitime, à celle de République. Rappeler les gestes essentiels ( et d’abord, la sorte de « révolution copernicienne » opérée par Rousseau dans le champ politique) qui permettent cette identification et chercher à en rendre raison – précisément en ne faisant d’abord appel qu’à la seule raison et en fournissant ainsi à la politique un véritable principe, principe dès lors suffisamment souverain pour s’imposer aux peuples comme à leurs princes – tel sera l’objet du premier temps de l’intervention.

Mais si ce premier temps nous permettra de saisir la République comme une véritable Idée de la raison, qui se distingue, comme on le sait, d’un simple idéal de l’imagination, notamment par sa capacité à tenir le rôle d’un véritable principe constitutif, en l’occurrence du « droit politique » (cf. le titre même du Contrat Social ou Principes du droit politique), il nous faudra pourtant, dans un second temps, prolonger la réflexion sur ce que peut et doit être la saine constitution d’une République si l’on veut, non seulement comprendre ce que peut être son acte (y compris au sens juridique du terme) de naissance, non seulement même les puissances qui lui permettent de vivre par l’expression et l’exercice de sa volonté libre, mais aussi comment elle peut parvenir à conserver le plus longtemps possible son unité et son intégrité (tant physique que morale) en dépit des processus internes qui, pour le corps politique produit par l’art des hommes comme pour tout corps vivant produit par la nature, œuvrent dès la naissance à sa destruction. Le second temps de l’intervention cherchera alors à mettre en évidence que cette puissance de veille et de sauvegarde de l’intégrité du corps politique des peuples libres, seule à même de résister à l’incessante tendance de ceux qui détiennent le pouvoir à l’usurper à leur seul profit (quand bien même en République, ils n’en sont que les commis), ne réside pas seulement dans la compréhension intellectuelle de l’idée de République, mais dans un sentiment qui en constitue la vertu politique essentielle. Ce sentiment et cette vertu politique sans lequel l’Idée même de République risque d’être privée de puissance, c’est ce que nous proposerons d’appeler l’esprit républicain ou l’esprit de République.

La conclusion pourra alors insister sur un dernier point : par-delà, ou plutôt à travers l’examen des trois figures politiques majeures du Contrat Social que sont le Souverain, le Législateur et le Prince, c’est la personne du Citoyen qui nous apparaîtra pour finir comme l’acteur principal de toute véritable République. C’est que le citoyen n’est pas seulement chez Rousseau celui qui, avec le droit de vote par exemple, a le droit de participer de temps en temps à la vie publique , mais bien celui qui a le devoir, (comme l’indique expressément le Contrat Social dès son texte préface au tout début du Livre I), «  de s’instruire » suffisamment sur la politique pour lui permettre d’assurer instamment et constamment la sauvegarde de la République, , en en cultivant et en en préservant l’esprit . Telle est l’entreprise proprement de « salut public » à quoi nous invite Jean-Jacques Rousseau, et à laquelle il n’a pour sa part jamais renoncé, en dépit d’avoir dû finir par renoncer au seul titre qui l’importait et qu’il porta deux fois ( l’un par hasard heureux de la naissance, l’autre par libre choix ) ce titre de « citoyen de Genève » qui signe en quelque sorte à travers toute son œuvre la vocation politique du penseur.

Remarque : l’intervention, même si elle fera par moments référence à d’autres ouvrages de Rousseau, est essentiellement centrée sur la lecture du Contrat Social, dont elle interroge l’objectif final ainsi que la dynamique générale. Elle donnera une importance particulière au premier texte du Livre I qui en précède les chapitres numérotés. L’édition du Contrat Social utilisée est celle parue dans la collection GF Flammarion, présentée et annotée par Bruno Bernardi.

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