Y. Veyret :contribution au débat sur l’exposé de M. Grimaldi

Yvette Veyret :
contribution au débat sur l’exposé de Muriel Grimaldi
Monde et environnement

La discussion a permis de souligner l’importance des échelles spatiales et temporelles dans l’analyse du fonctionnement de la planète terre.

Il est indispensable de distinguer les temporalités différentes, « temps de la nature », temps des sociétés, temps personnel.

Parmi les temporalités de la nature (différentes selon que l’on évoque les climats, la pédosphère, de l’hydrosphère…) il faut déjà distinguer le climat et le temps. Le climat est « un concept qui caractérise une série d’états des états de l’atmosphère au-dessus d’un milieu dans leur succession habituelles ». Le temps est l’état de l’atmosphère en un instant t, et en un lieu donné (température, humidité, vent….).

Le climat de la planète n’a cessé de se modifier au cours des âges. Ces variations résultent de l’ensemble des changements enregistrés par le système terre (radiation solaire, orbite terrestre, situation des plaques tectoniques et des continents, composition de l’atmosphère…)

Les variations connues ont eu des ampleurs et des durées variables. Ainsi le géographe Jean Pierre Vigneau distingue

*les mutations qui s’étalent sur des millions ou des centaines de millions d’années (Précambrien, ou Primaire avec de grandes périodes glaciaires, quand le Secondaire apparaît comme une période plus chaude le tertiaire est marqué par un refroidissement global.

*Les fluctuations ont une durée de l’ordre de la centaine de milliers d’années. Au quaternaire, elles font se succéder de longues périodes glaciaires et de courts interglaciaires.

*les oscillations occupent encore quelques millénaires et quelques siècles. Celles de l’Holocène (la période succédant au dernier glaciaire) ont connu des écarts thermiques de l’ordre de 5°C, au-début, plus réduits depuis 5000 ans. La plus récente qui a duré quelques siècles correspond au Petit Age glaciaire -1350-1900). Ces oscillations sont dues à des mécanismes naturels (modification de la circulation thermocline-organisation générale des courants superficiels et profonds..) et de l’activité solaire.

*les pulsations se manifestent sur quelques années ou décennies (séries d’années sèches ou arrosées, neigeuses… (réchauffement des années 1920 aux années 1940, refroidissement jusqu’en 1975, réchauffement ensuite jusqu’à la fin des années 1990, refroidissement ultérieur).

Beaucoup attribuent ces pulsations aux modifications anthropiques de l’atmosphère (gaz à effet de serre). Les décennies et siècles futurs diront si ce forçage par les sociétés humaines constitue le facteur premier de ces variations.

Mais cela n’empêche pas d’envisager les effets de celles-ci sur une humanité beaucoup plus nombreuses que par le passé et de tenter de maîtriser et de réduire les rejets de GES.

 

Les temps de la nature sont donc multiples, du très long à l’instantané (les aspects du temps), mais ils sont souvent difficilement compatibles avec le temps des sociétés et le temps des individus. Ainsi les temps d’un fleuve (crue, étiage…) ne correspondent pas à ceux rythmés par les élections de l’élu qui doit gérer la dynamique du cours d’eau.

 

S’agissant des échelles spatiales, la complexité n’est pas moindre. Envisager les effets des grands glaciers dans le fonctionnement climatique de la planète est indispensable. Les grandes nappes de glaces de l’Antarctique et du Groenland épaisses de plusieurs kilomètres (dans les deux cas il s’agit de glaciers continentaux à distinguer de la banquise) constituent des éléments majeurs de la « machine climatique ». Il est impossible de les comparer ou de les mettre sur le même plan que les glaciers de montagnes qui ponctuent l’Himalaya ou les sommets islandais de certains volcans.

De même ce qui est valable à l’échelle locale en termes environnementaux par exemple, ne l’est pas forcément à une autre échelle ou à celle de la planète. Ainsi, envisager les modes de gestion pour une « ville durable » est relativement possible à l’échelle d’un quartier, voire d’une ville moyenne, mais bien difficile à mettre en œuvre à l’échelle d’une vaste agglomération et plus encore dans le cadre de mégapoles (plus de 5 ou 8 millions d’habitants selon les auteurs). Les raisons tiennent notamment à la multiplication des acteurs politiques, des gestionnaires, à leurs visions différentes, à leur appartenance politiques différentes, aux conflits entre acteurs. Ce constat oblige à réfléchir aux rapports « local » « global » deux éléments qui fondent en quelque sorte bien des aspects du « développement durable » mais en marquent aussi bien des limites….

 

Références

Ciattoni A. et Veyret Y. Les fondamentaux de la géographie Colin

Veyret Y (sous la direction de ), 2007, 2011, Dictionnaire de l’environnement, Colin

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Sommaire des travaux publiés

Monde et environnement (par M. Grimaldi)

 

Atelier « Le monde »

Séance du 21 janvier 2012

Monde et environnement, par Muriel Grimaldi (1)

 

Argument

L’essentiel de l’exposé sera consacré à l’analyse précise de la machinerie climatique, parce qu’elle nous paraît être le lieu où se donne à voir ce qu’est le monde et qu’elle est aussi, vraisemblablement, la clef de l’avenir commun.

Après un bref aperçu des données du problème de la déstabilisation climatique globale, chacun des compartiments  du climat sera abordé, avec le souci d’établir, chemin faisant, les multiples interactions qui le constituent.

Cette première partie sera suivie d’une brève récapitulation des caractéristiques du système, autrement dit par l’esquisse de ce qui fait monde et qui commande, en particulier, de rompre avec la notion d’environnement.

La troisième partie abordera rapidement les composantes de la problématique actuelle et indiquera quelques directions possibles d’une réflexion philosophique qui nous apparaît désormais indispensable.

1 – Lycée Darius Milhaud, Kremlin-Bicêtre.

Repères bibliographiques

René DUMONT, L’utopie ou la mort ( 1974) Seuil  : Points politique
Hans JONAS, Le principe responsabilité (1979) Collection Champs-Flammarion – 1998
Michel SERRES, Le contrat naturel (1990) Collection Champs Essais 2009
René DUMONT, Un monde intolérable ( 1991) Seuil  : Points politique
René DUMONT, Pour l’Afrique, j’accuse ( 1993) Plon : Terre humaine
Ilya PRIGOGINE, La fin des certitudes (1996) Editions Odile Jacob 1999
Lester BROWN, Le plan B, pour un pacte écologique mondial (2006) Calmann-Lévy

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D. Deleule : contribution au débat sur l’exposé de M. Brailly

Didier Deleule :
contribution au débat sur l’exposé de Magali Brailly
La mondialisation néo-libérale contre le cosmopolitisme

1 – Le cosmopolitisme, pas plus que la mondialisation, n’est à sens unique: être citoyen du monde, cela veut aussi bien dire: « être partout chez soi » (certaine version du stoïcisme et sa postérité convenue) que « n’être nulle part chez soi » (version plutôt cynique: Diogène est seul dans sa jarre [pistos] mais il se partage entre Corinthe et Athènes et n’appartient donc à aucune cité). On pourrait, mutatis mutandis, appliquer la même formule à ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation, ou la globalisation, avec les conséquences que cela entraîne.

2 – S’agissant du libéralisme dans sa version économique, celle-là même dont se réclament les tenants de la mondialisation, il m’apparaît important de comprendre que le modèle qui préside à l’entreprise (c’est le cas de le dire) est d’ordre domestique. J’entends par là que, dans les circonstances actuelles (en d’autres temps, il s’agissait du patriarcat, du modèle pastoral, voire de la famille), ce qui est non seulement mais encore imposé, c’est le modèle de l’entreprise (avec ses oripeaux d’origine anglo-saxonne: « corporate », « gouvernance », et j’en passe) comme « gestion politique » d’un pays. Le négociant, comme aurait dit Hume qui le regrettait, a pris le pas sur l’homme d’Etat. Ce qu’on appelle le néolibéralisme se caractérise par ce retour offensif (contre les pionniers du libéralisme: Hume, Smith et alii) du primat du domestique comme modèle généralisé du politique lui-même qui, en tant que tel, se trouve dès lors condamné au retrait, à la paupérisation, voire à l’extinction.

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La mondialisation néo-libérale contre le cosmopolitisme (par M. Brailly)

Atelier « Le monde »

séance du 26 novembre 2011

La mondialisation néo-libérale contre le cosmopolitisme,
par Magali Brailly (1)  : résumé et bibliographie

RÉSUMÉ. – Le propos de cet exposé consiste à interroger la mondialisation dans sa phase néo-libérale actuelle à travers le prisme du cosmopolitisme. Depuis la fin du XXe siècle, le néolibéralisme est devenue une force normative et  politique décisive dans la gestion de la mondialisation. Pourtant, la voie néo-libérale n’est pas exempte de paradoxes qui mettent au jour les limites d’un système qui néglige toute pensée complexe  de l’individu et de la société, détourne les valeurs du cosmopolitisme vers les critères du marché et semble incapable d’apporter une réponse politique cohérente aux nouveaux défis mondiaux et risques civilisationnels qui au fur et à mesure qu’ils surgissent conduisent à des mouvements de contestation et à des conflits :  le globalisme néolibéral encourage davantage le développement du relativisme et des petits mondes de l’entre-soi, qui isole les uns les autres et facilite la résurgence des revendications identitaires et nationalistes,  qu’il ne favorise le partage de sens et la formation d’un monde commun. Toutefois,  et telle sera la ligne de force qui soutiendra notre réflexion, les contradictions du néo-libéralisme ne doivent pas obligatoirement mener à une re-nationalisation ou à une re-tribalisation du monde : il est possible qu’elles ouvrent aussi la voie à un « cosmopolitisme réflexif » qui dépasserait le clivage moderne entre normes publiques et valeurs privées tout en déjouant le double piège de l’indifférence post-moderne et de l’enfermement communautaire.

1 – Doctorante-contractuelle à l’Université Paris-Est – LIS EA 4395. Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche en cours relative aux transformations contemporaines du « libéralisme » confronté aux nouveaux impératifs de responsabilités (sociale, environnementale,  économique, politique, culturelle, scientifique).

Références bibliographiques :

ABELES, M., Anthropologie de la globalisation, Paris, Payot & Rivages, 2008

AUDIER, S., Le colloque Lippmann. Aux origines du néo-libéralisme, Paris, Le Bord de l’eau, 2008

BADIE, B., Un monde sans souveraineté. Les Etats entre ruse et responsabilité, Paris, Fayard, 1999

BAUMAN, Z., Le coût humain de la mondialisation, traduit de l’anglais par Alexandre Abensour, Hachette Littérature, 1999

BECK, U., : Pouvoir et contre-pouvoir à l’heure de la mondialisation, traduit de l’allemand par Aurélie Duthoo, Paris, Flammarion, 2003

– : Qu’est ce que le cosmopolitisme ?, traduit de l’allemand par Aurélie Duthoo, Flammarion, 2006

– : La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, traduit de l’allemand par Laure Bernardi, Paris, Flammarion, 2008

BERNS, T., PIERET, D., (sous la dir.), « Mondialisation et cosmopolitisme », Dissensus, n°1, Université libre de Bruxelles, 2008

BRAUDEL, F., La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 2008

– : Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Paris, Armand Collin, 1979, 3 vol.

BENSAÏD, D., Les dépossédés. Karl, les voleurs de bois et le droit des pauvres, Paris, La Fabrique, 2007

BOURDIEU, P., Propos pour servir à la résistance contre l’invasion néolibérale, Contre feux, tome1, Paris, Raisons d’agir, 1998

– : Pour un mouvement social européen, Contre feux, tome 2, Paris, Raisons d’agir, 2001

BOURGUIGNAT, H., Finance internationale, Paris, Presses universitaires de France, 1999

BROWN, W., : Le néo-libéralisme et la fin de la démocratie, traduit de l’américain par P. Mangeot et I. Saint-Saëns, Vacarme, n°29, automne 2004

– : Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néo conservatisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007

CAPRON, M., QUAIREL-LANOIZELEE, F., Mythes et réalités de l’entreprise responsable, Paris, La Découverte, 2004

CASTELLS, M., La Société en réseaux. L’ère de l’information, vol. 1, Paris, Fayard, 1998

CASTILLO, M. : La responsabilité des modernes. Essai sur l’universalisme kantien, Paris, Kimé, 2007

– : Connaître la guerre et penser la paix, Paris, Kimé, 2005

CHANDA, N., Au commencement était la mondialisation. La grande saga des aventuriers, missionnaires, soldats et marchands, Paris, CNRS, 2010

COULMAS, P., Les citoyens du monde. Histoire du cosmopolitisme, Paris, Albin Michel, 1995

DARDOT, P. ; LAVAL, C., La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009

DELMAS-MARTY, M., La dimension sociale de la mondialisation et les transformations du champ juridique, 2006

– : Vers un droit commun de l’humanité, Paris, Textuel, 2005

ELBAZ, M., « L’inestimable lien-civique dans la société-monde », in Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, sous la direction de M. Elbaz et D. Helly, Québec, Presses de l’Université Laval, 2000

FERRY, J.M : La question de l’Etat européen, Paris, Editions Gallimard, 2000

– : Europe la voie kantienne. Essai sur l’identité post-nationale, Paris, Editions du Cerf, 2005

– : Valeurs et normes. La question de l’éthique, Editions de l’université de Bruxelles, 2002

FERRY, J.M., (sous la dir.), La civilisation tributaire de sa passion du bien-être, Bruxelles, Entre-Vues et Labor, 1997

FOESSEL, M., Etat de vigilance. Critique de la banalité sécuritaire, Paris, Le Bord de l’eau, 2010

FRIEDMAN,M., Capitalisme et liberté, traduit de l’américain par A. M. Charno, Paris, Leduc S. Editions, 2010

FUKUYAMA, F., La fin de l’histoire et le dernier homme, traduit de l’américain par Denis-Armand Canal, Paris, Flammarion, 1992

HABERMAS, J., Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz, Paris, Fayard, 2000

– : De l’éthique de la discussion, traduit de l’allemand par M. Hunyadi, Paris, Editions du Cerf, 1992

HAYEK, F. : Droit, législation et liberté, traduit de l’anglais par Raoul Audouin, Paris, Puf, 2007

– : La route de la servitude, traduit de l’anglais par G. Blumberg, Paris, PUF, 2010

HUNTINGTON, S., Le choc des civilisations, traduit de l’anglais par Jean-Luc Fidel, Paris, Odile Jacob,, 1997

KANT, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, traduit de l’allemand par Jean-Michel Muglioni, Paris, Bordas/Sejer, 2006

– : Pour la paix perpétuelle, traduit de l’allemand par Joël Lefebvre, Presses Universitaires de Lyon, 1985

– : Opuscule sur l’histoire, traduit de l’allemand par Stéphane Piobetta, Paris, Flammarion, 1990

LAIDI, Z., Malaise dans la mondialisation, Paris, Textuel, 1997

– : La mondialisation comme phénoménologie monde, Paris, Projet, n°262, juin2000, pp.41-48

– : Un monde privé de sens, Paris, Hachette Littératures, 2001

LANGLOIS, J., Le libéralisme totalitaire, Paris, l’Harmattan, 2003

LAURAND, V., La politique stoïcienne, Paris, PUF, 2005

LAVAL, C., L’école n’est pas une entreprise. Le néo-libéralisme à l’assaut de l’enseignement public, Paris, La Découverte, 2010

MARC AURELE, Pensées, vol. 1 et 2, Paris, Gallimard, 2006

MAFFESOLI, M., La transfiguration du politique. La tribalisation du monde postmoderne, Paris, Grasset, 1992

MESURE, S., RENAUT, A., La guerre des Dieux. Essai sur la querelle des valeurs, Paris, Grasset et Fasquelle, 1996

NOOTENS, G., Souveraineté démocratique, justice et mondialisation, Québec, Liber, 2010

PAQUET, L., Les cyniques grecs. Fragments et témoignages, Paris, Le Livre de Poche, 1992

REICH, R., L’économie mondialisé, traduit de l’américain par Daniel Tenam, Paris, Dunod, 1993

SALL, I., PINAULT, F., Le souci du monde : l’universel face à la globalisation, Paris, l’Harmattan, 2006

SCHOOYANS, M., La dérive totalitaire du libéralisme, Paris, Editions de l’Emmanuel, 1995

SEN., A. : Ethique et économie, traduit de l’anglais par Sophie Marnat, Paris, PUF, 1993

STIGLITZ, J., Un autre monde. Contre le fanatisme des marchés, Paris, Le Livre de Poche, 2008

TARDIF, J., FARCHY, J., Les enjeux de la mondialisation culturelle, Paris, Editions Hors Commerce, 2006

TASSIN, E., Un monde commun. Pour une cosmopolitique des conflits, Paris, Seuil, 2003

VIRILIO, P., Cybermonde, la politique du pire, Paris, Textuel, 2001

WALLERSTEIN, I., Le capitalisme historique, Paris, La découverte, 2002

ZARKA, Y.C., GUIBET LAFAYE, C., Kant cosmopolitique, Paris, Editions de l’Eclat, 2008

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Voir le débat :

Contribution de Didier Deleule

« Sur la contribution d’Amartya Sen… », par C. Guibet Lafaye et E. Picavet

Atelier « La République et l’Europe »

Sur la contribution d’Amartya Sen:
éthique des capacités et politiques sociales

par Caroline Guibet Lafaye (CNRS, Centre Maurice Halbwachs, Paris)
et Emmanuel Picavet (Université de Franche-Comté, LRPLA et section de philosophie, Besançon)

Texte (oct. 2010) issu des présentations d’E. Picavet et C. Guibet Lafaye lors de la rencontre de l’Institut International de Philosophie, « La philosophie et l’état du monde », Paris, 15-18 Septembre 2010. Table ronde, en collaboration avec la Société française de philosophie : Les indicateurs du bien-être (‘au-delà du pib’), et d’autres suggestions constructives / Criteria of Global Well-Being (‘Beyond gdp’), and Other Constructive Suggestions

Résumé
Dans l’atelier « Europe » de la Société Française de Philosophie, nous avons été conduits à réfléchir sur les principes du jugement concernant les politiques sociales et ce que l’on peut appeler les évolutions du modèle (ou de l’ancien modèle) de l’Etat social dans l’Union Européenne. L’approche par les capacités au sens d’A. Sen peut être mobilisée à partir de la conviction qu’il faut tout à la fois tenir compte (1) des réalisations positives concernant le bien-être des personnes et (2) des capacités de choix des personnes. Nous soulignerons l’enracinement de l’approche d’A. Sen dans une réflexion philosophique sur les rapports entre éthique et information. Certaines limites politiques de cette approche seront discutées à partir d’une discussion du lien avec l’Indicateur de développement humain des Nations-Unies.

Abstract
In the « Europa » workshop of Société Française de Philosophie, we have had an opportunity to discuss the principles of social policy evaluation, in connection with current evolutions of the Welfare-State model. It is possible to use Amartya Sen’s capability approach, given that we are to consider both positive achievements concerning (1) personal welfare and (2) choice capacities. We’ll stress that A. Sen’s approach is rooted in philosophical elaborations about the connections between ethics and information. Some political limits of the theory will be discussed, starting from the links with the United Nations’s Human Development Index.

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AccueilSommaire des travaux publiés

La République et l’Europe. Lancement et considérations initiales (E. Picavet)

Société française de philosophie

Lancement de l’atelier de recherche « La République et l’Europe »,

le 6 novembre 2009,  salle 91  du centre de recherches CAPHES/ DEC,

29 rue d’Ulm, Paris.

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–          Tour de table

 

Personnes présentes :

Mme Stéphane Aymard (doctorante en philosophie, Université de Franche-Comté, Besançon)

M. Patrick Ghrenassia (professeur agrégé de philosophie, Institut Universitaire de Formation des Maîtres, Versailles)

Mme Caroline Guibet Lafaye (chargée de recherches au CNRS, Centre Maurice Halbwachs, Paris)

Mme Anna Zielinska (doctorante en philosophie, Université P. Mendès-France, Grenoble).

M. Sylvain Lavelle (professeur de philosophie, Polytechnicum de Lille)

M. Bernard Reber (chargé de recherches au CNRS, CERSES, Université René Descartes, Paris).

Mme Emmanuelle Glon (docteure en philosophie, assistante de recherche, Université Denis Diderot, Paris).

M. Emmanuel Picavet (professeur de philosophie pratique moderne et contemporaine, Université de Franche-Comté, Besançon), coordinateur.

 

Autres personnes se joignant  aux activités :

Mr. David Duhamel (post-doctorant, sciences économiques),

Mr. Sébastien Groyer (Caisse des Dépôts et Consignations, doctorant en philosophie à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne),

Mr. Pol-Vincent Harnay (post-doctorant, sc. économiques),

Mme Sabine Plaud (post-doctorante, philosophie),

Mme Sophie Pellé (post-doctorante, sc. économiques),

Mme Alice Le Goff (attachée temporaire d’enseignement et de recherche, philosophie)

Mme Maria Bonnafous-Boucher (docteure en philosophie, directrice de la recherche de l’école Advancia-Negocia, Chambre de commerce et d’industrie de Paris).

Mr. Karim Bouhassoun (doctorant en philosophie, Université de Franche-Comté)

Mme Speranta Dumitru (maître de conférences en éthique sociale et science politique, Université René Descartes, Paris).

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– Emmanuel Picavet (Université de Franche-Comté) : Considérations initiales

Tandis que nous célébrons les vingt ans de la chute du Mur de Berlin, il y a lieu de s’interroger encore sur l’avenir de l’Europe : les hésitations des derniers jours du Président Klaus à propos de la signature du Traité de Lisbonne en donnent un témoignage éclatant.

Des questions politiques essentielles sont en cause, à l’articulation  de l’idée nationale et du projet européen. Pour ce qui regarde la France, ces questions sont suscitées par la rencontre de la République et de l’idée d’Europe. Les développements politiques de l’Union européenne sont tributaires d’incertitudes fondamentales et de raisons de l’action dont le traitement relève, croyons-nous, de la philosophie politique.

C’est dans ce contexte que la Société française de philosophie, dans la droite ligne de son engagement déjà ancien dans le sens de l’examen rationnel de problèmes importants qui intéressent la société, lance un atelier de recherche à la fois ouvert quant à la participation et aux  modalités d’intervention et ciblé dans son projet. Il s’agit d’examiner philosophiquement les enjeux de l’évolution de l’idée d’Europe et de l’idée de République (ou de Nation, ou d’Etat souverain) dans le contexte politique formé par les contraintes, le fonctionnement et le projet même de l’Union européenne.

Dans ce champ – et c’est l’une des raisons pour lesquelles il intéresse la philosophie – les incertitudes sur les évolutions politiques de la structure communautaire sont étroitement liées aux incertitudes sur les changements dans la vie sociale, dans les traditions et dans les principes des différentes sociétés européennes. La réflexion sur les destinées de l’Union européenne est, pour les philosophes, une invitation à remettre sur le métier l’analyse des rapports entre les normes, les institutions et les habitudes de la vie sociale.

Par ailleurs – et nous pouvons y voir un autre thème d’intérêt majeur pour la philosophie – les évolutions de l’Union européenne sont tributaires d’évolutions dans le sens attribué aux principes de référence. On a donc l’occasion, dans ce champ, de saisir l’incidence du rapport aux principes dans la dynamique institutionnelle. Comme les philosophes s’intéressent depuis toujours à la nature et à l’opération du gouvernement d’après des principes, ils ne peuvent se détourner de ce type d’investigation. Les principes gouvernant les services publics, l’économie de marché, les droits de l’homme et les droits sociaux, parmi d’autres, ne peuvent manquer de retenir notre intérêt.

Les dernières étapes majeures de la construction européenne (le rejet du traité constitutionnel, la ratification en cours du traité de Lisbonne) s’inscrivent dans le processus de constitutionnalisation engagé depuis le traité de Rome au moins. Depuis assez longtemps, et en l’absence même d’un document officiel appelé « constitution », les politologues évoquent la « constitutionnalisation » européenne (Alec Stone Sweet et co-auteurs), la « constitution économique » de l’Europe (Streit et Muessler, dans la lignée de la « constitution de la liberté » de Hayek), l’« unification européenne » (Ernst Haas), l’« institutionnalisation de l’Europe » (Fligstein et Sandholtz), etc.

La répartition des domaines de compétence dépend très largement (les travaux de Patrick Le Galès, de Victoria Louri de Silvana Sciarra et d’autres l’ont confirmé) des rapports de pouvoir et de la conquête de la légitimité par les institutions au sein d’un champ politique qui n’est que partiellement organisés par les traités. Chaque traité fixe à grands traits une répartition des pouvoirs et des compétences dont on sait qu’elle est, sur des points importants, encore appelée à évoluer. C’est une invitation à réexaminer les rapports entre pouvoir réel et autorité formelle, ainsi que les bases de la théorie du fédéralisme.

Les objectifs et valeurs de l’Union répondent à une vision générale humaniste mais la référence insistante à un certain modèle économique peut faire débat. Ainsi, dans les objectifs de l’Union tels que décrits dans le projet de traité constitutionnel (partie I, titre I, arts. 1-3), la référence à une « économie sociale de marché hautement compétitive » pouvait certainement servir de caution à des mesures de libéralisation ou de remise en cause des services publics ou des droits sociaux. En effet, dans certaines doctrines économiques de référence, être « hautement compétitif » implique le sacrifice très précis d’un certain nombre de droits sociaux (restrictions sur la durée du travail et la forme des contrats de travail, salaire minimum, etc.) tandis que les objectifs généraux qui étaient également mis en avant, en particulier le fait de « tendre » vers le plein-emploi, ont une signification très vague dans la plupart des discours économiques et des politiques associées.

Ici et là, des réserves s’expriment sur la place importante réservée à la concurrence libre et non faussée comme valeur fondamentale. Il va de soi que les mécanismes concurrentiels peuvent avoir des propriétés intéressantes dans l’organisation des marchés, en termes d’efficacité. Mais il y a assurément quelque chose d’étrange dans la manière dont on quitte parfois ce terrain instrumental pour transformer en une valeur substantielle et fondamentale la mise en concurrence des uns avec les autres autour d’enjeux marchands ou financiers.

Cela conduit à poser la question des rapports entre théorie et pratique, qui s’éclaire d’un jour nouveau si l’on entre dans le détail du fonctionnement de l’Union. Il s’agit en effet d’un ensemble politique dont les pratiques mobilisent à un degré considérable les théories politiques ou économiques ainsi que diverses formes d’expertise dans les sciences de la nature et les sciences de l’ingénieur. On remarque parfois une association étroite entre des termes apparemment neutres et des doctrines souvent inconnues du public, mais qui conditionnent les évolutions dans l’interprétation de ces termes et dans la mise en œuvre des propositions qui en résultent.

Du point de vue de la recherche et de l’éducation – sujet traditionnel de préoccupation pour la Société française de Philosophie –  les valeurs qui sont consacrées par l’Union ont un caractère volontariste et positif, de nature à favoriser le développement d’une économie de l’information, de la communication et du savoir. C’est une chance pour la République, si l’on estime qu’il est en effet du ressort des instances européennes de donner une impulsion et un cadre de référence aux réformes et aux initiatives nationales. Mais la référence insistante au progrès scientifique et technique dans les textes européens conduit à examiner les modalités du débat sur les enjeux éthiques.

De nombreux problèmes se posent à propos des clauses de conscience, du respect de la diversité des expériences nationales et de la traduction, en pratique, du principe de précaution. Il y a lieu de s’intéresser tout particulièrement aux modalités de la prise en compte des avis de différents publics, notamment pour apprécier l’impact que cela peut avoir sur les marges de manœuvre des institutions dans leurs relations mutuelles.

Par ailleurs, l’architecture de l’Union, tout en constituant un pôle mondial majeur pour la démocratie au XXIème siècle, entretient des rapports complexes avec les conceptions démocratiques les plus classiques. Des institutions non représentatives telles que la Commission et la Banque Centrale Européenne, ainsi qu’une juridiction (la Cour de Luxembourg) se voient reconnaître des pouvoirs très importants, tandis que le rôle du Parlement européen reste quelque peu effacé, même si ses prérogatives doivent être substantiellement étendues par le Traité de Lisbonne.

La représentation dans l’Union est originale et soulève des questions. D’un côté, il y a la représentation directe des citoyens au Parlement européen. D’un autre côté, il y a la représentation des Etats ou des gouvernements au Conseil européen et au Conseil. N’est-ce pas une sorte d’anamorphose de la forme politique ? Soit on évoque cette forme politique en partant des Etats membres et de leurs délégations de pouvoir  à l’Union. On partira alors des peuples. Ou bien l’on part de l’Union, et alors on ne rencontrera pas directement le peuple (seulement « les citoyens » de l’Union, les Etats membres et les gouvernements). Il faut, à l’évidence, réexaminer les fondements de la citoyenneté de l’Union, les aspirations qui la portent et les problèmes qu’elle rencontre.

La question de la représentativité et de son rapport avec la représentation doit être posée. Par exemple, aux termes du défunt projet constitutionnel, la constitution de la Commission devait refléter « d’une manière satisfaisante l’éventail démographique et géographique de l’ensemble des Etats membres ». Les membres des nouveaux comités consultatifs institués (comité des régions, comité économique et social) devaient eux aussi être représentatifs (respectivement des élus locaux et des acteurs de la société civile).

La crise de légitimité dont on a espéré sortir par le projet constitutionnel avait trait, fondamentalement, aux exigences de la démocratie. La « doctrine Monnet » et ses prolongements réservent une place aux processus démocratiques, mais à côté de tendances plus élitistes. Au total, on mesure souvent assez mal l’ampleur des bouleversements idéologiques qui ont réaménagé le monde occidental depuis les années 1980. Les idées ont une efficacité en politique et, justement, le débat européen, qui est un débat plus ou moins continu (avec des moments forts) est l’occasion d’affronter telles qu’en elles-mêmes des évolutions intellectuelles relativement récentes, qui parviennent aujourd’hui à une concrétisation politique.

On ne saurait sous-estimer, par exemple, l’influence pratique du néo-libéralisme théorique. Dans ce  courant de pensée, on met volontiers l’accent sur les risques associés à la pratique démocratique des pouvoirs : la myopie face aux enjeux du long-terme, le clientélisme des dirigeants élus et la dictature des minorités agissantes, l’aveuglement du peuple sur les conséquences de ce qu’il réclame, etc. Quelles peuvent en être les conséquences du point de vue de l’engagement à servir le bien commun ?

La politique est systématiquement rapportée au registre des tentations collectives contre lesquelles il faut se prémunir en durcissant les règles « constitutionnelles ». Le thème des risques de la démocratie, développé à loisir par des auteurs aussi prestigieux que les prix Nobel Friedrich von Hayek et James Buchanan, ne correspond certes à rien de connu pour le grand public; mais plusieurs générations de dirigeants ont été formés à ces idées, en particulier dans les facultés de droit et de sciences économiques, parfois en philosophie ou en sociologie, depuis la fin de l’influence prépondérante du marxisme académique. Le point culminant a sans doute été atteint lorsque James Buchanan, dans un ouvrage influent co-rédigé avec le philosophe Geoffrey  Brennan (The Reason of Rules), a proposé de transformer en religion civique le respect d’une constitution politico-économique d’orientation libérale.

Le champ politique demeure travaillé et structuré par des idées et des doctrines. Certains responsables ont des convictions et agissent d’après des convictions, parfois très proches des élaborations théoriques. Par exemple, les plans institutionnels pour le projet « euro », les « critères de Maastricht » et l’institution de la Banque Central Européenne ont été discutés dans les principaux laboratoires de sciences économiques, et l’on peut y voir le triomphe de la doctrine monétariste. Le marché des droits à polluer dans l’Union européenne est directement issu de la théorie économique. Les principes d’attribution des  pouvoirs retenus dans la Constitution sont directement issus des travaux de nombreux politologues et philosophes politiques sur la gouvernance à plusieurs niveaux. On peut ajouter que la thématique de la reconnaissance des minorités, aujourd’hui très présente dans l’Union, reflète la forte inflexion des doctrines libérales, au cours des dernières années, en direction du multiculturalisme et de l’approfondissement des droits culturels.

C’est pourquoi l’Union constitue aujourd’hui un champ de réflexion privilégié du point de vue de la philosophie appliquée et de ses méthodes, qui restent d’ailleurs largement à élaborer. N’en est-ce pas, pour nous, l’occasion ?

– Discussion et modalités du travail

Ces différents éléments et la discussion conduisent à privilégier les thèmes suivants :

– les formes du bien commun, en rapport avec (1) les services publics et (2) la démocratie et les limites de la démocratisation des procédures délibératives ;

– les méthodes de la philosophie appliquée, en référence à l’éthique, à la conception institutionnelle, à la philosophie politique et à la philosophie économique. Il faut clarifier notamment les rapports profonds et complexes entre les « études européennes » et la philosophie.

On peut noter, dans le champ des études sur l’Union, un tournant normatif dans les études positives (par exemple chez Bellamy, Castiglione,…): c’est à examiner, au point de vue méthodologique. La question de l’incidence des doctrines est importante.

Il faut aussi travailler la question du rapport entre citoyenneté, délibération et participation.

Chacune des séances devrait donner lieu à une introduction (exposé de 30 mn. environ), à un travail collectif et, à la suite, à un bref bilan écrit qui puisse être posté sur le site de la Société.

Des invitations et des visites aux institutions sont envisageables, si les ressources le permettent. L’atelier pourrait déboucher, à l’initiative des post-doctorants, sur un colloque consacré à la nature des faits dans des contextes marqués par l’influence de normes. Il faut étudier la place de l’Europe « entre faits et normes », en examinant les rapports qui se nouent entre principes, langage et interprétation. La question des soubassements culturels de l’Union est également intéressante.

En outre, la question du statut du modèle républicain français est à situer non seulement dans le contexte européen, mais dans une restitution de ce que ce contexte doit à la dynamique de la mondialisation et de la marque qu’il imprime à celle-ci en retour.

–          Dates de réunion prévues (13h-15h, salle 91 du CAPHES/ DEC, 29 rue d’Ulm, RdC, couloir de droite) :

– 22 janvier  2010        Introduction par E. Picavet : comparaison de l’ancien projet de Traité constitutionnel et du Traité de Lisbonne sur quelques points liés aux thématiques retenues.

– 12 mars 2010            Introduction par B. Reber : l’Europe entre faits et normes : l’exemple du principe de précaution.

– 16 avril 2010 Introduction par S. Lavelle : l’espace public du citoyen européen.

– 28 mai 2010              Thème à déterminer.

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